La Turquie a affiché sa détermination à poursuivre ses bombardements aériens contre des positions kurdes dans le nord de la Syrie malgré les appels internationaux à l'arrêt de ces raids qui risquent de compliquer encore davantage la recherche d'une solution politique au conflit syrien. Ignorant les appels lancés par Washington et Paris à y mettre fin, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a prévenu que les bombardements aériens, lancés samedi dernier, allaient se poursuivre, notamment pour empêcher les Kurdes de prendre Azaz, une ville située à une dizaine de kilomètres de la frontière. "Nous ne laisserons pas Azaz tomber. Les Unités de protection du peuple (YPG) ne seront pas autorisées à avancer vers l'ouest de l'Euphrate et à l'est (du canton) d'Afrine", a-t-il affirmé lundi. Aux yeux d'Ankara, qui dit mener ces frappes en riposte à des tirs provenant des positions kurdes en Syrie, le Parti de l'union démocratique (PYD) et les YPG, sa branche armée, sont liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit), qui mène une rébellion meurtrière en Turquie depuis 1984. Damas dont les relations avec Ankara sont tendues en raison de la crise qui secoue la Syrie depuis mars 2011, a condamné les bombardements turcs sur son sol, appelant l'ONU à agir. Il s'agit, selon le gouvernement syrien, de "crimes et attaques répétés de la Turquie à l'encontre du peuple syrien et l'intégrité territoriale de la Syrie". Quant à la Russie, qui mène elle aussi des frappes aériennes depuis début février en soutien aux forces gouvernementales syriennes contre le bastion rebelle d'Alep, elle a exprimé sa "vive préoccupation" face aux bombardements turcs et dénoncé une "politique provocatrice" d'Ankara. En réaction à ces déclarations, Ankara dont les relations avec Moscou sont au plus bas depuis la destruction fin novembre par l'aviation turque d'un bombardier russe au-dessus de la frontière syrienne, a, par la voix de son chef du gouvernement, dénoncé les frappes russes en Syrie et brandi la menace d'une "riposte turque extrêmement résolue". Situation de plus en plus complexe à Alep La poursuite des bombardements aériens turcs et les accusations mutuelles entre Moscou et Ankara sont en contradiction avec les espoirs de cessez-le-feu en Syrie. L'application d'un accord sur une "cessation des hostilités" dans tout le pays dans un délai d'une semaine, conclu la semaine dernière à l'issue d'intenses négociations à Munich (Allemagne), entre les Etats-Unis, la Russie et leurs principaux alliés, dont la Turquie, semble de plus en plus difficile après les nouveaux développements militaire et politique. L'accord de Munich prévoit aussi un accès accru et "immédiat" de l'aide humanitaires aux civils qui fuient les combats, notamment l'offensive sur Alep, deuxième ville de Syrie. Or la situation dans cette ville est devenue confuse: malgré trois jours de raids aériens turcs, les forces kurdes, qui luttent contre le groupe terroriste autoproclamé Etat islamique (EI, Daech), progressaient lundi dans la province d'Alep, et les combats font rage dans un quartier ouest de Tall Rifaat entre ce qui est appelé "les Forces démocratiques de Syrie (FDS) et les rebelles", d'après l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Tall Rifaat est l'un des trois derniers bastions rebelles dans le nord d'Alep. Cette petite ville qui a échappé au contrôle de l'armée en 2012 est tenue par des groupes armés notamment Ahrar al-Cham, Liwa al-Fateh et Jabha Chamiyé. Sur un autre front, les rebelles ont subi des revers après revers à Alep depuis le début l'offensive de l'armée régulière appuyée par les frappes russes. L'armée syrienne encercle désormais presque totalement les quartiers rebelles d'Alep, l'ex-capitale économique du pays, et progresse au nord de la ville. La crise syrienne a également pris un tournant très inquiétant ces derniers jours, après l'annonce de certains pays de l'envoi de forces terrestres sur le sol syrien. Samedi, le chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu avait affirmé que la Turquie et l'Arabie saoudite pourraient mener une intervention terrestre contre le groupe Etat islamique en territoire syrien alors que le ministre turc de la Défense a démenti que son pays comptait envoyer des troupes sur le sol syrien. "Ce n'est pas vrai. Nous n'avons pas l'intention d'envoyer des troupes en Syrie", a dit le ministre Ismet Yilmaz . Dans ce sens, Moscou avait mis en garde récemment que toute intervention étrangère en Syrie pourrait provoquer une "guerre mondiale". Situation humanitaire dramatique La poursuite des combats laissent peu d'espoirs qu'une "cessation des hostilités" puisse intervenir en fin de semaine, comme le prévoit l'accord de Munich, et rendent ainsi difficile l'accès des civils à l'aide humanitaire. Médecins sans frontières (MSF) a confirmé, dans ce contexte, qu'un hôpital soutenu par l'ONG avait "été détruit par des bombardements" dans la région de Maaret al-Noomane, dans le nord-ouest du pays. "Il s'agit d'une attaque délibérée" qui "prive d'accès aux soins les quelque 40.000 personnes vivant dans cette zone de conflit ouvert", a dénoncé Massimiliano Rebaudengo, le chef de mission de MSF pour la Syrie. Cette ONG soutient au total 153 hôpitaux en Syrie, dont cinq ont été touchés par des frappes depuis le début de l'année. Près de cinq ans après le début du conflit qui a fait plus de 260.000 morts, selon des estimations, la situation humanitaire en Syrie s'est encore aggravée avec les derniers développements dans le nord qui ont provoqué l'exode de dizaines de milliers de personnes. Des populations qui restent bloquées à la frontière turque, qu'Ankara refuse pour le moment d'ouvrir.