Dans le livre "Sétif, la fosse commune", Kamel Beniaiche restitue l'identité de nombreuses victimes jusque-là anonymes des massacres du 8 mai 1945, et rapporte 70 ans après, plusieurs témoignages exclusifs et inédits de survivants de ce génocide. Cet ouvrage de 336 pages, préfacé par l'historien français Gilles Manceron et paru aux éditions El Ibriz, restitue des témoignages recueillis par l'auteur durant plus de 12 ans dans des villages de la région pour montrer que les massacres du 8 mai 1945 ne se sont pas limités aux villes de Sétif, Guelma et Kherrata. Dans les premiers chapitres de l'ouvrage, l'auteur revient sur le déroulement des événements lors de ce triste "mardi noir" du 8 mai 1945, une journée qui a vu des manifestations pacifiques se transformer en véritable bain de sang dans les rues de Sétif en s'appuyant sur des témoignages, des documents d'historiens et de coupures presse. L'auteur a rencontré des survivants de cette tragédie dans des villages comme El Ouricia (10 km de Sétif) où militaires et colons constitués en milices ont arrêté et tué plusieurs dizaines d'Algériens dont plusieurs militants du Parti du peuple algérien ( Ppa), comme en témoigne Ahmed Boudiaf, devenu militant du Front de libération national. Profitant du chaos dans la région, les forces coloniales avaient également "assassiné plusieurs autres dirigeants de sections du Ppa" habitant le village d'El Maouane (16 km de Sétif), selon Mokhtar Feria dont le père et les oncles furent abattus et son village brûlé. Autres témoignages: au village de Aïn Abbassa sur lequel s'est abattu une violence extrême: "84 exécutions sommaires ont anéanti un groupe de militants ayant pour habitude de se rencontrer au café +Nadi Abbas+ (Cercle des fidèles de Ferhat Abbas) et poussé les quelques survivants à l'exil". Une des localités où les exactions ont été des plus brutales, Bouandas (70 km au nord de Sétif), pas moins de "96 exécutions ont été enregistrées en une seule journée", et sur la route de Bejaia où "les pires méthodes de torture ont été employées", se souviennent des témoins qui ont vu des victimes "crucifiées ou dévorées par des chiens". L'auteur rapporte également sur la foi de témoignages plusieurs affrontements entre Algériens et colons, en représailles aux violences de Sétif, suivis d'une violente répression militaire qui a fait plusieurs milliers de morts à El Eulma, Kherrata, ou encore Aïn El Kbira parmi les Algériens. Cette répression s'était traduite aussi par "plus de 300 sorties de l'aviation militaire coloniale en six jours" qui ont "soufflé" de nombreux villages, obligeant les survivants à fuir dans les montagnes, selon des rapports du consul de Grande Bretagne à Alger John Eric Mc Lean Carvell, cités par l'auteur. D'autres témoignages évoquent l'incarcération de 17 collégiens de Sétif dont Abdeslam Belaïd (ex chef du gouvernement après l'indépendance), le journaliste et rédacteur en chef d'Alger, Républicain Abdelhamid, Benzine et l'écrivain et dramaturge Kateb Yacine qui avaient pris part à la manifestation du 8 mai avant d'être arrêtés et jetés en prison. En annexe de l'ouvrage -présenté à l'occasion du 21e Salon international du livre d'Alger (SILA)- l'auteur fournit une liste de près de 150 Algériens, victimes de représailles, dans les localités proches de Sétif et dont les noms n'avaient jamais été évoqués, ainsi que des copies de documents et de coupures de presse de l'époque. Né en 1959 à Sétif, Kamel Beniaiche a été professeur de l'enseignement secondaire dans sa ville avant de rejoindre la presse en 1996. Il est actuellement correspondant d'El Watan dans cette même ville.