Outrageusement privés de sépultures plus d'un siècle et demi durant, les restes mortuaires de premiers résistants algériens à l'occupation française, dont Cheikh Bouziane et Chérif Boubaghla, rapatriés vendredi de France à bord d'un avion militaire, reposent désormais au carré des martyrs de l'El-Alia, un retour à la terre qui les a vus naitre et pour laquelle ils ont consenti au sacrifice suprême. En ce jour ensoleillé, ô combien symbolique du 5 juillet, coïncidant avec le 58e anniversaire de l'indépendance et la fête de la jeunesse, ces héros nationaux du 19e siècle, parmi lesquels Moussa El-Derkaoui, Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui et Mohamed Ben-Allel Ben Embarek, retrouvent enfin la terre natale qu'ils ont irrigué de leur sang, avec en sus des funérailles dignes de leurs hauts faits d'armes. A la hauteur de leur statut, c'est lors d'une cérémonie grandiose que les restes d'un premier contingent de résistants algériens (24 crânes), drapés de l'emblème national, ont été accueillis vendredi à l'aéroport international Houari Boumediene à Alger, en provenance de France où ils étaient séquestrés, des années durant, au Musée d'histoire naturelle de Paris. Lire aussi: L'Algérie rapatrie les crânes de 24 de ses résistants à la colonisation française Moment fort de l'histoire de l'Algérie: les restes mortuaires des premiers résistants algériens à la colonisation française sont enfin parmi les leurs, des années après avoir été exhibés comme des butins et des trophées de guerre par des missionnaires coloniaux, guidés par un ethnocentrisme largement condamné par l'histoire. Lors de cette cérémonie, l'émotion était telle que nombre de personnes présentes, dont des hauts responsables du pays, à leur tête le président Tebboune, avaient du mal à retenir leurs larmes. Les cercueils portant les restes mortuaires des 24 chefs de la Résistance populaire ont été posés, par la suite, au hall du Palais de la Culture Moufdi-Zakaria, sur des tréteaux par les élèves officiers de l'Académie militaire de Cherchell, avant de les entourer de gerbes de fleurs. Ils ont été exposés au public durant toute la journée du samedi dans le hall du Palais de la Culture pour un dernier hommage. A l'origine, les révélations d'un chercheur Genèse : C'est en mai 2011, qu'un chercheur en histoire et en anthropologie, Farid Ali Belkadi, fit ses premières révélations à l'APS sur l'existence de restes mortuaires de dizaines de résistants algériens à la colonisation française, dont ceux de Chérif Boubaghla (mort en 1854) et de Cheikh Bouziane des Zaâtchas (mort en 1849), au Muséum d'histoire naturelle (MNHN) de Paris. Ce spécialiste de l'histoire antique et de l'épigraphie libyque et phénicienne, qui s'intéresse également à la période coloniale, avait confié que des fragments de corps étaient conservés au MNHN de Paris, depuis 1880, date à laquelle ils sont entrés dans la collection "ethnique" du musée. Pour le chercheur, premier Algérien à avoir eu accès à cette collection, le but de son travail n'est pas de faire un exposé nécrologique sur la découverte "accablante" de restes mortuaires d'Algériens gardés dans des boîtes cartonnées ou du formol dans un Musée français, mais d'"attirer l'attention sur ces symboles forts de l'histoire contemporaine de l'Algérie, qui sont privés de sépultures". M.Belkadi, qui confiait avoir "remué ciel et terre" pour pouvoir enfin être admis à la collection après avoir adressé des correspondances aux plus hautes instances de la France, a affirmé être mû par deux déterminations en faisant cette recherche: "Fournir tous les efforts en ma possession, disait-il, pour que soient rapatriés en Algérie les restes mortuaires de ces personnages historiques et procéder à la publication de ce travail de recherche dans le cadre de colloques spécialisés". Au correspondant de l'APS à Paris, le directeur des collections au MNHN de Paris, Philipe Mennecier, avait souligné qu'il recevait dans l'établissement un chercheur algérien qui en avait fait la demande. Pour ce responsable au MNHN, "rien n'empêcherait le rapatriement de ces restes mortuaires. Il suffit que la partie algérienne en formule la demande". "Ce sont à l'origine des donations qui font partie du patrimoine national. Et seul un accord entre l'Etat algérien et l'Etat français pourrait faciliter la démarche de rapatriement", avait-t-il précisé. Ces efforts en vue d'un rapatriement de ces ossements vers le pays natal ont été consolidés en 2016 par le professeur d'université Brahim Senouci qui s'était dit "hanté" par la question de la restitution des restes mortuaires depuis 2011 quand l'historien Ali Farid Belkadi l'a révélée au public. Mû par cet état d'esprit, il lance sur le Net une pétition avec l'objectif de rapatrier ces restes mortuaires en Algérie pour "y recevoir une sépulture digne de leur combat libérateur". Une initiative qui a recueilli des milliers d'adhésions parmi la société civile tant en France qu'en Algérie. Lire aussi: Les crânes de résistants algériens à la colonisation française retrouvent la terre natale C'est à juste titre d'ailleurs que le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, leur a rendu, via un tweet, un hommage appuyé, soulignant le rôle du premier pour "avoir découvert l'existence des crânes des martyrs, au cours de ses recherches au Musée de l'Homme de Paris", et le second pour sa pétition qui a "contribué à faire connaitre les génocides perpétrés par la France coloniale durant 132 ans en Algérie". Un acte "barbare" dénoncé par des historiens Pour nombre d'historiens qui réagissaient à cette découverte "macabre", la conservation en France de restes mortuaires de résistants algériens à la colonisation française au 19e siècle, témoignait de la "barbarie" et de "l'inhumanité" des colonisateurs. Pour Gilles Manceron, pareille "collection" renseigne sur les "mentalités coloniales de l'époque qui niaient l'humanité même de ceux que la France qualifiait d'indigènes". "Si la France veut rompre avec ce passé, le rapatriement de ces restes, de manière officielle, digne et ostensible, s'imposait". "La France a bien restitué à l`Afrique du Sud la dépouille mortelle de Saartjie Baartman en avril 2002 après le vote d'une loi dans ce sens, cette jeune femme qui avait été exhibée, en raison de son physique, à Londres puis à Paris où elle est morte en 1815. Et, en janvier 2010, les restes d'une vingtaine de maoris de Nouvelle-Zélande, qui avaient été conservés depuis le 19e siècle dans des musées français, ont été remis officiellement à une délégation de ce pays", a précisé l'historien. Pour l'historien Tramor Quemeneur, la conservation des restes humains par les anciennes puissances coloniales est le "témoignage de pratiques anthropologiques basées sur des différences raciales mais aussi la trace d`un goût morbide pour les expositions d`êtres humains, autrement appelées les + zoos humains+". "Tel a par exemple été le sort réservé à la Vénus Hottentote, qui a désormais été restituée à l`Afrique du Sud", a-t-il expliqué, estimant que la restitution des restes mortuaires des Algériens conservés au MNHN représenterait de même un "geste symbolique fort du gouvernement français dans le sens de relations bilatérales basées sur l`égalité et non sur une relation inégalitaire entre l`ancienne puissance colonisatrice et les anciens colonisés considérés comme inférieurs". "Les uns et les autres ont le droit au même respect de leurs morts, quel que soit même leur lieu d`inhumation", avait ajouté l'universitaire. Un respect que ces valeureux résistants ont toujours forcé et continuent de le faire. La preuve en est qu'un édit (fetwa) émis samedi par la commission ad-hoc du ministère des Affaires religieuses les a considérés comme "vivants", annulant de fait, en s'appuyant sur des Ulémas des rites malékite, châafite et hanbalite, la prière sur le mort qui était initialement prévue en leur honneur, arguant que cette prière ne s'appliquait pas sur les chouhada tombés lors de batailles. Par Djilali Mourah