Entre la perte d'un être cher, la hantise d'être contaminé, les violences conjugales, l'enfance perturbée, la précarité socio-économique, soudaine ou exacerbée, les incidences psychologiques de la Covid-19 sont aussi multiples que variablement vécues par les Algériens, selon des témoignages recueillis par l'APS, une année après l'enregistrement du premier cas de la Pandémie dans le pays. Installé depuis des années en France, Kamel Sahed, 55 ans et originaire d'Ath-Yenni (Tizi-Ouzou), continue de susciter l'émoi parmi les proches et amis qui relayent ses soucis de santé depuis plusieurs semaines via Facebook. Il a été victime d'un AVC en septembre 2020 nécessitant son hospitalisation dans un hôpital parisien. Son état ayant été jugé stationnaire et face à la saturation que connaît l'établissement en raison du Coronavirus, la direction de celui-ci a décidé de l'extuber, suscitant une mobilisation importante de ses amis et proches aussi bien en France que dans son village pour faire annuler cet extrême recours. Mais c'est la déchirante détresse de sa famille en Algérie qui est saisissante, lorsque l'on sait que sa mère âgée est suspendue à l'évolution des choses, elle qui espère jeter "un dernier regard" sur son fils, s'il venait à passer de vie à trépas, et que la suspension des liaisons aériennes met à rude épreuve. A l'instar du reste du monde, une bonne partie des Algériens ont vu leur mobilité contrariée, de et vers l'étranger, les privant de vacances, de retrouvailles avec les leurs et, pire encore, d'assister aux derniers instants de leurs morts : "Je n'ai même pas pu assister à l'enterrement de mon père, décédé l'été dernier en Algérie et le fait de ne l'avoir pas revu une dernière fois, m'empêche de faire vraiment le deuil, même si depuis mon rapatriement en novembre dernier je me recueille souvent sur sa tombe ! ", témoigne Rachid, "bloqué" plusieurs mois en France à la suite du confinement. Sarah, jeune étudiante à Paris, "souffre de ne pouvoir se rendre à la tombe de sa maman, décédée et enterrée en Algérie depuis plus d'une année. "Il me tarde de pouvoir le faire, déjà que la douleur de sa perte est toujours aussi vive, en plus de l'éloignement du pays, de plus en plus difficile à supporter", a-t-elle confié, dans un entretien au téléphone. Des récits tout aussi bouleversants sont innombrables, tant rares sont les familles qui n'ont pas été affectées, d'une façon ou d'une autre. Lire aussi: Tebboune: le vaccin anti-covid "Sputnik V" fabriqué localement dans 6 à 7 mois "J'ai un ami qui a perdu, en l'espace de quelques jours, sa mère et ses 2 frères, vous pouvez imaginer dans quelles dispositions psychologiques il peut être. Je suis convaincu que c'est sa foi en Dieu qui l'a aidé à ne pas sombrer dans la déprime qui commençait à s'installer en lui !", raconte Salim, père de famille activant à son propre compte. "Depuis cette pandémie, je suis la seule à subvenir aux besoins de ma famille après que mes deux frères aient perdu leurs emplois dans le privé. Si parfois, ils semblent accepter leur situation, il est des moments où ils vivent moins bien le chômage tant leur nervosité les trahit", témoigne Amel, fonctionnaire dans une administration. Elle dit s'inquiéter, en particulier, pour le plus âgé d'entre eux qui, avec une famille en charge, est parfois sujet à des tensions conjugales qui ne manquent pas de contrarier la quiétude de leurs enfants, dont l'aîné qui "doit passer son bac cet été et qui supporte mal les disputes sporadiques de ses parents". Par ailleurs, nombre de parents relatent la difficulté de faire respecter le confinement par leurs enfants, dont certains ont fait montre, à des degrés divers, d'une "nervosité évidente au moment ou d'autres, déjà turbulents, sont devenus autrement plus ingérables". "Il y a quelques mois, mon neveu, lycéen, a subitement perdu connaissance, on saura par son médecin que c'était dû à un grand stress en raison du confinement. Sa maman, quant à elle, était tellement hantée par l'idée d'être contaminée au Coronavirus que cela s'est traduit par l'apparition de plaques rouges sur ses jambes", relate Faiza, mère au foyer. Les épouses, "premières victimes" de la pandémie... Le 26 janvier dernier, la journaliste de la TV4, Tinhinane Laceb, succombait aux coups de couteau donnés par son mari, en présence de leurs 2 petites filles. Des témoignages recueillis auprès des collègues de la victime révéleront le harcèlement dont elle faisait l'objet de la part de son conjoint, l'une d'eux nous attestant que la crise sanitaire a exacerbé son état mental : excessivement possessif et suspicieux, le conjoint le deviendra davantage après avoir perdu son emploi. Ce tragique cas est distinctif d'une situation difficilement vécue par les femmes, tel que l'illustrent les données de la DGSN faisant état de 5835 femmes violentées dont 43 féminicides durant les 10 premiers mois de 2020. Cela, au moment où la présidente de la Fondation pour l'Egalité, Nadia Ait-Zai, assure que les violences recensées durant la pandémie font ressortir que les femmes et les enfants mais "plus particulièrement les épouses", en sont "les premières victimes". "Il s'est avéré que la violence psychologique prédominait, l'agresseur identifié étant soit le mari, le compagnon mais aussi le frère ou l'oncle", précise-t-elle, faisant savoir que des associations ont approché des femmes "cloîtrées avec leurs bourreaux qui épiaient leurs faits et gestes, afin de leur offrir leur assistance psychologique". Tout en relevant, toutefois, la "difficulté" d'assister une femme victime de violences, la juriste plaide notamment pour la mise en place, durant cette conjoncture, d'une stratégie nationale d'assistance des femmes et fillettes violentées, d'un protocole sanitaire et d'un "guichet unique" pour leur réception au niveau des commissariats de police.