NADIA AIT ZAI AVOCATE ET MILITANTE DES DROITS DES FEMMES La juriste déplore l'absence "d'un protocole d'urgence de prise en charge des femmes et enfants victimes de violences dans le Plan de lutte contre la pandémie mis en place par l'Algérie dès mars 2020". Liberté : Jusqu'à quel point la crise sanitaire a-t-elle exposé les femmes à la violence et à la précarité ? Nadia Aït Zaï : La crise sanitaire ou la pandémie fantôme, comme on tend à l'appeler au niveau mondial, a eu des conséquences sur les femmes au plan économique, mais a aussi impacté leur sécurité, leur propre personne, leur dignité humaine. Les mesures de confinement et de prévention prises par l'Etat dans la deuxième quinzaine du mois de mars à travers le décret exécutif n°20.69 et 20.70, pour lutter contre la propagation du virus, ont fragilisé autant les femmes travailleuses que les femmes au foyer. Si les revenus des salariées du secteur public ont été maintenus et leurs emplois préservés, celles relevant du secteur privé ont vu leur salaire soit diminué, soit supprimé. Idem, dans le secteur de l'informel : les femmes ont été touchées de plein fouet. Elles ont disparu du paysage quotidien. Leur présence aux abords des marchés n'est plus visible. Ce travail précaire, qu'elles n'ont plus exercé dans les zones confinées, les a fragilisées, d'autant qu'elles n'ont perçu aucun revenu. L'arrêt des transports en commun a davantage entravé les femmes que les hommes à l'accès à une activité rémunératrice Et la liste est encore longue. On peut citer également le cas des femmes enceintes et des femmes élevant des enfants ou les personnes présentant des vulnérabilités sanitaires qui ont bénéficié d'une mise en congé exceptionnel rémunéré, à l'instar des 50% des effectifs des institutions et administrations publiques et du secteur économique public et privé. Sauf que l'application de cette mesure a été mal comprise par certains directeurs d'hôpitaux qui ont obligé les femmes médecins enceintes à travailler, ce qui a entraîné le décès de trois d'entre elles. Il y a eu par la suite rectification de cette situation. Le confinement, combiné à la fermeture des établissements scolaires, a aussi considérablement alourdi la charge de travail des femmes et des filles, et a exacerbé les violences de toute nature à leur encontre par les membres de la famille (l'époux, le frère, le fils). Les journaux ont fait part de 45 féminicides. Les services de police ont enregistré, pour leur part, 5 830 plaintes réparties en violences physiques, sexuelles et psychologiques. Quels mécanismes peut-on immédiatement mettre en œuvre pour prendre en charge les femmes en détresse ? Alors que les mesures de confinement introduites pour freiner la pandémie de Covid-19 a forcé les Algériens à se retrancher dans leur domicile, une hausse inquiétante des actes de violence perpétrés à l'encontre des femmes a été effectivement observée. Cette hausse subite s'est déroulée au moment même où différents services de justice, de santé et d'accueil ont été réaffectés et/ou ont connu une activité réduite. Les femmes ont été dans l'impossibilité d'utiliser les moyens de communication classiques (le déplacement ou le téléphone) pour signaler la violence subie ou le danger persistant à cause de la présence permanente de l'agresseur dans le domicile. Il fallait et il faut donc mettre en place rapidement un mécanisme de signalement pour aider les femmes à dénoncer les agressions. Certes des numéros verts existent, mais la plupart sont restés inopérationnels. Le planning familial et le Croissant-Rouge ont mis en ligne un numéro vert d'urgence pour une écoute psychologique. Il est vrai que le signalement est la première étape d'urgence à mettre en place, mais il faut l'accompagner de la création de centres d'accueil d'urgence, afin de protéger la victime en danger ou mise à la porte du domicile familiale ou conjugal. Parmi les mécanismes de protection d'urgence auxquels il faut également penser, ce sont les ordonnances de protection et/ou d'éloignement de l'agresseur que notre corpus législatif doit intégrer. Il faut également qu'un protocole de prise en charge médicale, juridique, sociale, économique soit mis en place pour accompagner les victimes de violences. En somme, il aurait fallu intégrer dans le Plan de lutte contre la pandémie, mis en place par l'Algérie dès mars 2020, un protocole d'urgence de prise en charge des femmes et enfants victimes de violences. Ce qui n'a pas été fait. Êtes-vous favorable au durcissement des lois criminalisant les violences envers les femmes ? Aller dans le débat du durcissement des peines va nous mener encore à la question de la peine capitale qui est brandie toutes les fois que l'on manipule l'opinion publique et que l'on fait appel aux sentiments et à la colère du moment de la société. Sauf que la peine de mort ne sera jamais proposée pour lutter contre les violences à l'égard des femmes. Il faut juste appliquer la loi déjà existante et abroger la clause du pardon. Ne jamais dissuader les femmes de déposer plainte, les accompagner, les assister sont une nécessité. L'Etat a une obligation de protection des femmes vulnérables et victimes de violences. La constitutionnalisation de la protection des femmes victimes de violences dans les trois sphères où elles évoluent, à savoir la sphère publique, le milieu professionnel et la sphère privée à la charge de l'Etat, est une avancée considérable. Les mécanismes de protection que ce dernier doit mettre en place doivent être réfléchis eu égard à la gravité des actes commis contre elles. La volonté politique de le faire doit être affichée et accompagnée d'une politique publique. Il faut également monter la durée de prescription de 20 ans, lorsqu'il s'agit des violences à l'égard des petites filles. La mobilisation contre les féminicides suscitée par l'assassinat de Chaïma s'est vite essoufflée. Pourquoi ? Je pense que la mobilisation autour de la mort de Chaïma s'est essoufflée à cause de l'instrumentalisation de son décès par sa famille et les partisans de la peine de mort. Son horrible assassinat a, d'ailleurs, mené à l'introduction de la peine capitale dans la loi sur les enlèvements d'enfant, alors que nous savons, par expérience, que celle-ci ne dissuadera pas les criminels à commettre de tels actes. Si l'on doit parler de féminicide, il faut reconnaître que l'on tue une femme parce qu'elle est une femme, parce que l'on a perdu tout contrôle et tout pouvoir sur elle. C'est une infraction qui doit être reconnue et introduite comme telle dans notre code pénal. Pensez-vous que la situation politique actuelle a donné un coup de frein au combat des associations féministes ? Je ne crois pas que l'on ait besoin maintenant de rassemblements de protestation pour se faire entendre. Il y a d'autres moyens, d'autres stratégies que nous utilisons. À l'instar des plaidoyers, les écrits dans les journaux, les radios, télés, les réseaux sociaux nous servent à interpeller les pouvoirs publics, en attendant de reprendre les relations avec eux, suspendues depuis une année. Le travail vient d'être fait pour la dénonciation des violences faites aux femmes. Il y a une campagne initiée par un réseau d'associations. La déclaration commune contient des propositions qui méritent d'être lues, d'être prises en charge. Je pense que les institutions nous entendent, mais ne nous écoutent pas. Pourtant, elles ont une responsabilité dans la prise en charge de ce phénomène de violences qu'il ne faut pas banaliser. Les féminicides nous le rappellent, ces violences vont crescendo.