Pour réussir la traduction d'une œuvre poétique, il est nécessaire de se mettre "dans la peau du poète", a soutenu un traducteur au cours d'un colloque national sur la traduction et le développement, ouvert mercredi à Constantine. Concédant qu'il est difficile d'être fidèle à la pensée de l'auteur, notamment lorsqu'il s'agit de poésie, le Dr Nacif Labed, lui-même poète, a souligné l'importance de "d'emprunter", en traduisant, la personnalité du poète, la portée de son regard, et de "s'immiscer" dans sa conception du monde. Il a mis en exergue, pour cela, "l'intérêt de conforter sa connaissance de l'auteur à traduire" par la lecture approfondie de ses oeuvres. "Se dire qu'on connaît personnellement" un poète parce qu'on le rencontre tous les jours ou que l'on s'invite à sa table constitue un véritable piège", a affirmé cet universitaire, considérant que seule "la lecture répétée d'un auteur est capable de réduire le champ des équivoques". Convaincu de la nécessité d'élaborer un travail sémiologique prenant en considération l'ampleur et la charge sémantique du mot, le Dr Labed a averti notamment contre les méfaits liés à la "sublimation de l'auteur aux dépens du contenu" (le texte à traduire). Il a rappelé dans ce contexte l'incident qui s'était un jour produit, lors d'une conférence de presse, entre le poète Chilien Pablo Neruda et le traducteur d'une de ses œuvres. L'auteur de "l'Epée de flammes" avait réfuté en public que l'idée avancée dans la traduction lui soit attribuée: "je n'ai jamais écris cela", s'était-il écrié. La maîtrise de la théorie du polysystème (une théorie fondée sur la multistratification des systèmes littéraires et des cultures, ndlr), dans la traduction d'une oeuvre poétique, littéraire, scientifique ou technique, constitue une approche diluée de tout sens de valorisation ou de conservation de la particularité du texte, si elle ignore le contexte culturel de l'oeuvre, a souligné cet enseignant universitaire. Le Dr Labed a évoqué, au cours de ce colloque de deux jours organisé par le laboratoire de langues et de traduction de l'université Mentouri, son expérience personnelle à travers deux £uvres du poète algérien Azzedine Mihoubi, en l'occurrence "Imprécation et rémission" et " Mondialisation du feu, mondialisation de l'amour", où le traducteur s'est référé à l'avis du poète concernant certains concepts de langue à charge culturelle nuancée. Ceci soulève l'importance de la pluri-culturalité du traducteur, sa connaissance des langues et la connaissance de la vie de l'auteur, a-t-il souligné, s'appuyant sur l'idée que la promotion d'une oeuvre réside dans la transmission de l'idée de l'auteur et la conservation de la culturalité du texte. Par ricochet, le Dr Labed a fortement insisté sur la nécessité de garder la simplicité du poème et la capacité de son engagement, tout en maintenant les garde-fous du poète car, selon lui, "enrichir un texte n'implique en rien de dépasser les capacités linguistes, les connaissances formatives mêmes ou la culture de l'auteur". L'important, a-t-il également estimé, est de "transmettre un texte comme on le sent", car "une sensibilité engagée est le meilleur arbitre du traducteur". Partisan du concept défendu par le linguiste américain Eugène Nida, le Dr Labed a conclu que la traduction étant "un outil de transfert universel de connaissance et de culture", la contribution du traducteur peut s'étendre de l'embellissement de la forme à l'enrichissement du contenu, en conservant en revanche l'identité culturelle du texte qui ne doit pas être altérée par les transformations linguistiques. Une bonne traduction évite les charges tendancieuses, l'ambigüité et le double sens du mot qui pourraient prêter à équivoque, à l'exemple de l'utilisation du mot " "bière" qui signifie aussi bien cercueil que boisson et qui dans un contexte conservateur prêterait à confusion. L'essentiel, a relevé le Dr Labed, réside dans (à) la sensibilité véhiculée par le texte et dans la capacité à nourrir le rapprochement escompté entre le lecteur et l'auteur originel.