L'hebdomadaire francophone marocain TelQuel va-t-il connaître le même sort que sa version arabophone le magazine Nichane, qui vient de mettre la clé sous la porte en raison d'un "boycott publicitaire persistant" initié par le holding royal ONA/SNI (société de gestion Omnium nord-africain et la Société nationale d'investissement), telle est la question posée par des observateurs à Rabat sur le devenir de ce journal aux positions éditoriales souvent critiques à l'égard du pouvoir marocain. Ces mêmes observateurs estiment que la pluralité de la presse marocaine "ne tient plus aujourd'hui qu'à un fil", en relevant que les autorités "semblent désormais déterminées à ne tolérer que des journaux qui servent leurs intérêts". Ils considèrent que les journaux indépendants au Maroc "n'ont pas tellement de liberté de manœuvre" du fait qu'ils subissent "continuellement des pressions grandissantes, politiques autant qu'économiques en vue de restreindre leur liberté de parole et d'action". Le Groupe TelQuel a estimé que la disparition de Nichane "n'est qu'un épisode de plus de la grave détérioration de la liberté de la presse au Maroc". Il a fait remarquer que c'est à partir de 2009, que "la lutte déterminée des autorités marocaines contre les journaux indépendants a connu une accélération remarquée, dénoncée par de multiples ONG de défense de la liberté de la presse, dont Reporters Sans Frontières". Il rappelle également que des journaux ont été fermés "illégalement" par les autorités, d'autres ont été acculés à vendre leur mobilier pour payer des amendes disproportionnées. "Plusieurs journalistes, a-t-il noté, ont été harcelés par la police et la justice, alors que certains ont été contraints à l'exil et un journaliste a même été emprisonné pendant 7 mois, courant 2010". Son directeur, Ahmed Benchemsi a déclaré aux correspondants de presse que le boycott n'est qu'un des nombreux instruments utilisés par le pouvoir pour "étouffer la presse indépendante", estimant que par ce procédé, "les journaux payent pour leur ligne éditoriale indépendante et leur liberté de ton". Le magazine marocain Nichane, leader des hebdomadaires arabophones marocains, a été, rappelle-t-on, fermé à l'issue d'une assemblée générale de ses actionnaires. Malgré son standard de qualité élevé et sa large diffusion, le magazine était victime d'un boycott publicitaire persistant. Après y avoir perdu 10 millions de dirhams (près de 900.000 euros, un des plus lourds investissements de la presse marocaine), le Groupe TelQuel, principal actionnaire de Nichane, s'est vu contraint à mettre un terme à cette hémorragie financière "manifestement irréversible". Dès sa création en 2006, Nichane s'est forgé une place au soleil dans le paysage médiatique marocain en bousculant de nombreux tabous. L'équipe de Nichane, composée d'une quinzaine de journalistes, fait l'objet aujourd'hui d'un licenciement collectif. Le groupe TelQuel est détenu par plusieurs actionnaires individuels, dont le Français Jean-Louis Servan-Schreiber qui possède 29 % des parts. Nichane est devenu, deux ans à peine après sa création, l'hebdomadaire arabophone le plus vendu au Maroc, une position qu'il a conservée, les derniers contrôles de l'OJD Maroc faisant foi, signale-t-on à Rabat. Mais à cause de son indépendance et de ses positions éditoriales souvent critiques à l'égard des autorités, il a fait l'objet, dès son lancement, d'un large boycott publicitaire. Si Nichane n'a pas survécu à cet implacable boycott, TelQuel, qui y est également soumis, va-t-il continuer à résister sachant que sans publicité, un journal ne peut souvent pas survivre malgré la passion, l'engagement et l'éthique journalistiques ?