La saison estivale est synonyme de farniente. Les jeunes des villages avoisinant le site touristique de Tala Rana (commune de Saharidj, à 50 km à l'est de Bouira), en connaissent un petit bout. Par ici, le mot tourisme ne signifie pas grand-chose au demeurant. Dans les différents hameaux sis sur le flanc sud du mont Lalla Khelidja, l'on ne parle presque plus de vacances, d'autant que l'absence de moyens, notamment financiers, pousse les jeunes à se retrancher dans leur village le temps d'une halte estivale souvent assimilée à une assignation à résidence. Cependant, si pour les filles cette période est synonyme de corvée, pour les garçons, dame nature offre au moins quelques échappatoires… En dépit de la dégradation des conditions sécuritaires, la population juvénile de la commune de Saharidj trouve du plaisir à braver le défi. « Il n'y a pas de vacance sans aventure », dira Mourad, lycéen, que nous avons rencontré sur la route menant à Tala Rana. En effet, avec une bande de ses copains, dont l'âge varie entre 17 et 25 ans, ce mordu de la nature ne lésine pas sur les moyens pour aller à la découverte de cet éden hautain qui, depuis plusieurs années, se dresse comme une forteresse imprenable. Les groupes terroristes ayant élu domicile dans ce massif boisé ont gardé secrète la beauté de ce site prodigieux. Faut-il souligner là, que ces jeunes ne connaissaient pas ce lieu au temps où il grouillait de touristes (durant les années 1980). Le plus âgé parmi eux n'avait que 8 ans en 1992, date où les premiers groupes terroristes faisaient leur apparition dans la région. Le goût de l'aventure y est en fait ! Un sentiment de fierté semble bien se lire dans les regards innocents de ces jeunes férus de la découverte. Ils semblaient bien se prendre pour de véritables conquistadores. C'est de la reconquête, effectivement ! Cependant, sur les lieux, on trouve d'autres jeunes visiblement venus à pied en ce vendredi caniculaire. Car, pour s'y rendre, il faut compter sur ses propres moyens... ses pieds, généralement. Plus de transport. Le téléphérique ? C'est un rêve. Sur place, pas de structure d'accueil, sauf que les châtaigniers, les centenaires chênes-lièges et cèdres offrent bien l'hospitalité et la quiétude qu'il faut. La faune n'y manque pas. D'ailleurs, on dit que le nom Rana, donné à cette source, découle bien de celui de la grenouille verte appelée par ailleurs Rana esculenta, et dont la présence est fort remarquée en ce lieu. On dirait bien un rendez-vous pris avec la nature dans toute l'étendue de sa grandeur et de son orgueil. L'eau fraîche de la légendaire source de Tala Rana permet bien des moments agréables. Une source bénite, dit-on, par la sainte patronne des Imchedallen Lalla Khelidja. On y trouve toute la douceur d'une eau ruisselante ayant la particularité d'être fraîche en été et tiède en hiver. Elle coule de bonne source, disent les vieux qui parlent d'un canal souterrain traversant le mont Djurdjura d'est en ouest et dont cette Tala (source) prend ses origines. Selon la légende locale : « Targa Ldjouhala (la rigole des titans) serait conçue pour relier la mer en partant d'Alger à Béjaïa. Elle devait par ce fait assurer une alimentation en eau souterraine de toute la région située sur le flanc sud du Djurdjura ». En fait, ce n'est là qu'une légende. Mais, faut-il encore considérer la valeur spirituelle que les populations de cette région accordent à cet endroit. Tamgout (le sommet du Djurdjura culminant à 2308 m d'altitude), il y a quelques années, avant la dégradation de la situation sécuritaire, des centaines sinon des milliers de personnes de toutes les régions de la Kabylie venaient effectuer un pèlerinage, la fameuse parade des 7 mercredis saints de Yemma Khelidja. La tradition fait qu'à partir du premier mercredi du mois de mai, chaque semaine, sept fois successives, on y tient une sorte de bivouac. Des bovins, ovins et autres caprins sont offerts en offrande. Un couscous est donc offert sous « l'anaya » (les bons offices) des descendants de la sainte patronne du Djurdjura. On y implore le pardon, mais surtout la bénédiction, car on croit dure comme fer. Autre détail, le pic de Tamgout offre la chance de joindre les exilés à travers l'imaginaire fenêtre du vent. Des vieilles, des dames mariées à des gens se trouvant en exil s'y bousculent pour appeler leurs proches qui, dans l'imaginaire social, seraient destinataires d'un message divin qui les ramèneraient au bled. Aujourd'hui, les conditions sécuritaires se sont plus ou moins améliorées, les amateurs des randonnées pédestres en plein massif montagneux espèrent une reconsidération des lieux. Pour eux, le site de Tala Rana constitue bien un havre de paix, où spiritualité rime bien avec beauté…