Les enseignants contractuels bouclent leur dixième journée de la grève de la faim. Dans l'indifférence totale des autorités du pays, leur état de santé se détériore de plus en plus, surtout depuis qu'ils refusent de prendre de l'eau sucrée. « Ils meurent à petit feu », commente un syndicaliste. Mais ils restent déterminés. « Nous préférons mourir dignement que de continuer à vivre dans l'humiliation », pousse une enseignante gréviste, dont le visage pâle et livide renseigne sur le degré de son épuisement. Trois grévistes ont été évacués hier en urgence à l'hôpital. L'un d'eux, une femme souffrant de douleurs abdominales, est tombé dans un coma qui a duré plusieurs heures. Les autres grévistes supportent cahin-caha cette périlleuse épreuve sans qu'ils ne soient totalement hors du danger. L'absence de médecin sur place est de plus en plus inquiétante. D'ailleurs, le Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique (Snapap) n'a pas manqué le rendez-vous d'hier avec la presse pour lancer un appel aux cliniques privées afin d'assurer le suivi médical nécessaire aux grévistes, loin de vouloir renoncer à leur action. « Nous poursuivrons notre action jusqu'à la fin, que cette dernière soit triste ou heureuse. Nous sommes prêts à tout, car nous réclamons notre droit au travail garanti par la Constitution », tonne un autre gréviste. Face à cette situation inquiétante, le Snapap a réuni hier en son siège à Alger les membres du comité de soutien aux grévistes. Réunion à laquelle ont pris part des représentants de partis politiques, d'associations et d'ONG nationales. Les participants ont discuté, lors de cette rencontre, des actions de soutien à mener en urgence. Le Snapap a, en premier lieu, décidé d'observer un sit-in de solidarité avec les grévistes le 30 juillet devant le siège du ministère de l'Education nationale. Il a ainsi appelé à une mobilisation générale aussi bien des syndicats autonomes que des partis politiques qui soutiennent la cause de ces grévistes. Des représentants de partis politiques, comme le FFS, le MDS, le PST et le CCDR, ont exprimé leur « franche solidarité » avec les enseignants grévistes et se sont engagés à mener des actions de soutien sur le terrain. Ahmed Méliani du MDS a appelé à une plus grande mobilisation des enseignants, mais aussi de la classe politique. Selon lui, il faut qu'au moins quelques milliers des 45 000 enseignants contractuels se mobilisent pour faire plus de pression sur le ministère de l'Education et le gouvernement. Il a également parlé de la nécessité de sortir sur le terrain et de faire des manifestations de rue devant le ministère de l'Education, mais aussi devant le Palais du gouvernement et la présidence de la République. Chawki Salhi du PST a axé son intervention lors de la réunion sur le côté humain, trouvant qu'« il est inadmissible que des enseignants travaillent en été pour pouvoir manger le reste de l'année, pendant qu'ils enseignent sans que l'Etat ne les paye ». Rendant hommage à ces enseignants qui « ont eu le mérite, précise-t-il, de n'avoir pas nui aux élèves, en ayant attendu jusqu'aux vacances d'été pour mener leurs actions de protestation », M. Salhi a appelé les grévistes à « ne pas se suicider et à prendre de l'eau sucrée pour au moins pouvoir poursuivre leur action de protestation jusqu'au bout ». Abdelhak Brerhi du CCDR a, quant à lui, suggéré de prendre attache avec l'ensemble des partis politiques et des associations afin de les sensibiliser sur ce qu'il qualifie « de problème de justice sociale ». Aouicha Bekhti du MDS, pour sa part, insiste sur la priorité de ces enseignants dans les recrutements lancés par le ministère de l'Education. « Il n'est pas question d'accepter que des enseignants qui exercent depuis plusieurs années et qui ont formé des générations entières passent un concours pour se voir recruter comme titulaires », clame-t-elle, dénonçant le harcèlement policier que subissent les grévistes. Mme Bekhti a parlé de la nécessité de déposer plainte contre le ministère de l'Education pour « non-assistance à personnes en danger », même si cette plainte a peu de chances d'aboutir. « C'est une question de dignité », précise-t-elle. Le représentant de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), Mohamed Benhachem, a fait part de la disponibilité des avocats de la ligue en cas de dépôt de plainte contre les autorités concernées. Hakim Addad du FFS a exprimé, de son côté, la solidarité de son parti avec les grévistes, en précisant qu'il s'agit là de « la lutte de tout un chacun ». Une campagne au plan international est envisagée. Ainsi le Snapap prendra-t-il part au forum maghrébin sur les libertés syndicales, qui se tiendra dès aujourd'hui à Al Jadida, au Maroc. « Nous allons demander aux participants d'organiser une marche de solidarité avec les grévistes dans la ville d'Al Jadida », a souligné Sadek Sadou, l'un des participants du Snapap à ce forum. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, version Hocine Zehouane, a adressé une lettre au ministre de l'Education, l'interpellant sur la situation critique des grévistes. « La Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme vous présente ses compliments et voudrait attirer votre attention sur le spectacle des enseignants contractuels actuellement en grève de la faim », lit-on dans la missive. Il est expliqué que « le recours par les intéressés à ce moyen qui met en danger jusqu'à leur intégrité physique pour faire entendre leur voix témoigne d'un blocage social qui rend inopérants les autres recours pour faire aboutir toute revendication légitime ». Il est précisé dans la même correspondance qu'« il n'y a rien d'exorbitant à revendiquer la régularisation d'enseignants maintenus sous statut précaire durant des années sous contrat à durée déterminée abusivement renouvelé ». Cette organisation appelle ainsi le ministre à prendre « toute mesure urgente qui tendrait à mettre un terme à la souffrance physique des grévistes de la faim ». Cela serait « une marque de sensibilité à l'honneur de ses initiateurs », précise-t-on dans la lettre dont une copie a été également adressée au chef du gouvernement. Une pétition portant des dizaines de signatures a été lancée par le bureau du Snapap à Tlemcen. D'autres actions de solidarité sont en vue. Les grévistes espèrent voir les pouvoirs publics prendre en charge leurs revendications. Un souhait encouragé par l'annonce hier du report du concours de recrutement des enseignants dans la wilaya de Béjaïa.