Les enseignants contractuels bouclent aujourd'hui leur 35e jour de grève de la faim dans l'indifférence totale du ministre de l'Education nationale, Boubekeur Benbouzid. La dégradation de leur santé ne semble ni interpeller ni inquiéter au sein de l'Etat dont la seule réponse demeure la matraque. Lyès Menacer – Alger (Le Soir) – Au siège du Snapap, à Belfort, en face de la Direction de l'éducation d'El Harrach, 50 enseignants contractuels en grève de la faim, depuis le 14 juillet dernier, meurent en silence. Isolés du reste du monde, leur cri de détresse n'arrive toujours pas à trouver un écho favorable auprès du ministre de tutelle. Ils ne demandent à Benbouzid que le paiement de leurs salaires et une intégration, méritée après de longues années de dur labeur. Des droits élémentaires qu'ils peinent à arracher même en mettant leur vie en danger. Et ils sont déterminés à aller jusqu'au bout de leur action. Jusqu'à la mort, disent-ils. A leur 35e jour de grève de la faim, leur poids a chuté de 67% et la température de leur corps est descendue à moins de 37° C. La plupart d'entre eux sont dans un état semi-comateux. Ils arrivent à peine à parler et certains ne supportent plus la vue de lumière. «Depuis deux jours, les enseignants grévistes refusent de parler ou de recevoir des gens, y compris leurs amis et les membres de leurs familles», dira Mme Ghezlane, responsable au sein de la direction nationale du Snapap qui qualifie Benbouzid de «criminel». Cette dame, qui a fait une grève de la faim en 2001, est scandalisée. «Le ministère veut négocier avec nous secrètement dans l'espoir de trouver un compromis, mais nous avons refusé», dira-t-elle, expliquant que le dossier des contractuels est devenu une affaire nécessitant l'intervention du président de la République. Elle retenait difficilement ses larmes en pensant à ses collègues qui risquent de mourir dans la salle voisine. Une enseignante a failli mourir en tentant d'ingurgiter de l'eau de Javel, déclare Walid, l'un des rares grévistes de la faim qui arrivent à se tenir debout. Assis devant un ordinateur, il éprouve d'énormes difficultés à achever un texte où il dénonce le mépris de l'administration et le silence inexpliqué du ministre. Il refusa au départ de parler, estimant que cela ne servira à rien. «Le ministre sait tout, l'opinion publique est informée et les organisations syndicales internationales ont été alertées au sujet de cette injustice que nous subissons depuis des années», lâcha-t-il quelques minutes plus tard. Il se lança après dans un long récit, racontant ce qu'est son parcours d'enseignant dans un lycée à Guelma. Walid, père de deux enfants, affirme avoir été engagé en tant que contractuels depuis 1995. Les concours de recrutement bénéficient à ceux qui sont épaulés au sein de l'administration, dit-il. Les mesures d'intégration des enseignants vacataires et contractuels, édictées par le ministère de l'Education, ne l'avaient concerné. Mais il n'est pas le seul dans ce cas. Ils sont en fait 45 000 enseignants contractuels à vivre dans la précarité, sans salaire et sans sécurité sociale. «Comment une administration de l'Etat emploie-t-elle des enseignants, pendant des années, sans les déclarer à la Sécurité sociale ?» s'interroge-t-on. Les enseignants grévistes de la faim l'ont découvert lorsque leurs collègues ont voulu se faire rembourser les frais médicaux. Des enseignantes travaillent, durant la période des vacances, comme femmes de ménage, cuisinières, etc., pour gagner de quoi payer leur transport pour rejoindre leurs établissements, situés dans des contrées éloignées, dira Mme Ghezlane, offusquée. Cette syndicaliste dénonce l'absence des partis politiques sur le terrain de la lutte des enseignants contractuels. «Depuis le début de cette action, nous n'avons reçu que la visite d'un député du RCD, un autre de Nahda et deux députés du PT. Les autres partis se sont contentés d'envoyer des communiqués à la presse sans pour autant venir participer aux rassemblements organisés régulièrement par le Snapap et le Conseil national des enseignants contractuels», explique-t-elle, en s'interrogeant sur l'utilité des associations à caractère social qui ne se manifestent qu'à l'occasion des échéances électorales. «Nous avons reçu un soutien moral du Rassemblement algérien pour la jeunesse (RAJ), de la Ligue des droits de l'homme et de quelques organisations internationales», précise-t-elle. Mais cela demeure insuffisant pour ébranler un ministre qui demeure sourd aux appels de détresse de ces enseignants. «Il n'y a que la police qui nous rend visite, tous les jours, matin et soir», ironise Houari Kaddour, président du Conseil national de la santé publique. L'Observatoire algérien des droits de l'homme est sévèrement critiqué pour son absence depuis le début de la crise. Cette organisation, présidée par Farouk Ksentini, ne semble pas concernée par la grave situation vécue par les enseignants contractuels qui constitue un grave précédent d'atteinte aux droits de l'homme en Algérie. «Qu'ils viennent ici pour voir à quoi sont réduits des hommes qui pesaient, il y a quelques jours seulement, 120 kg. On ne peut pas rester dans son bureau climatisé et parler, comme si de rien n'était, des droits de l'homme en Algérie. Il faut se demander pourquoi les gens montent au maquis, consomment de la drogue, tuent et risquent leur vie en tentant d'émigrer clandestinement en Europe», conclut Mme Ghezlane. L. M. Rassemblement ce mardi devant la présidence Le Cnec (Conseil national des enseignants contractuels) et les syndicalistes du Snapap ont décidé de réinvestir le terrain, en programmant pour ce mardi un énième rassemblement devant le siège de la présidence de la République à El Mouradia. «Nous continuerons à leur rappeler qu'ils sont responsables de la détresse de ces enseignants qu'ils poussent, avec leur mépris, à mourir. Nous organiserons des rassemblements chaque semaine, même s'il restera qu'une seule personne pour le faire», a déclaré Mme Ghezlane, membre du bureau national du Snapap qui lance un appel à tous ceux qui se sentent concernés par le drame des enseignants contractuels, en grève de la faim depuis 35 jours. L. M. Solidarité des Américains La Fédération américaine du travail et le Congrès des organismes industriels (AFL/CIO) ont adressé, hier, un communiqué de soutien à la direction du Snapap pour exprimer leur soutien aux enseignants contractuels, en grève de la faim depuis le 14 juillet dernier. «Votre protestation pour la cause de la profession de l'enseignant est importante pour toute la société. Nous comprenons votre problème qui viole toutes les normes fixées par l'Organisation internationale du travail dont l'Algérie est membre. Ceci affaiblit également le rôle essentiel des professeurs d'entretenir et d'instruire les futurs chefs et citoyens de l'Algérie», lit-on dans le communiqué de la AFL/CIO qui invite les autorités algériennes à ouvrir les portes du dialogue pour un règlement définitif de ce conflit qui risque de coûter la vie à des enseignants dont le seul tort est d'avoir demandé d'être réhabilités dans leurs droits les plus élémentaires. L. M.