A défaut de désigner clairement les coupables de l'échec de la politique nationale, – ses ministres surtout –, le président s'en prend aux jeunes chômeurs accusés de « préférer travailler comme gardien de nuit au lieu de travailler dans le secteur du bâtiment ou de l'agriculture ». On attendait que les partis politiques ou les candidats potentiels à la présidentielle fassent le bilan de Bouteflika, mais c'est finalement le président himself qui sonne la charge. Et de quelle manière ! « Nous avons cru emprunter un chemin qui mènerait vers le paradis, aujourd'hui, il faut une révision radicale de plusieurs choses maintenant que nous savons que ce n'est pas la voie vers le paradis. » Cet incroyable aveu d'échec sorti de la bouche du chef de l'Etat est de nature à clouer le bec à ses opposants. Que pourraient-ils ajouter, en effet, à un tel diagnostic posé par le médecin lui-même sur un corps – l'Algérie – aussi gangrené ? Pas grand-chose assurément. Mais le Président qui est le seul responsable de ce gâchis monumental, en ayant choisi librement ses hommes de main, nous propose une thérapie qu'il n'a pas trouvée en neuf années de pouvoir. Il faut donc une « révision radicale de plusieurs choses… » Ce que professe Ouyahia depuis son retour aux affaires vient d'être assumé par le président de la République. C'est une façon bien singulière de sauver les formes. Sous d'autres latitudes, quand un tel constat est fait, le responsable sait parfaitement ce qu'il doit faire… UN SOMBRE TABLEAU DE BORD Mais chez nous, la culture de la démission n'existe pas. « On efface tout et on recommence » semble être la devise du Président et de son entourage. Pour un homme qui dit vouloir « bien terminer son mandat » c'est sans doute très mal parti et de son propre aveu ! Qu'est-ce qui n'a pas vraiment marché pour que Bouteflika se tire aussi sèchement une balle au pied ? Si l'on devait résumer les « résultats » communiqués par le Président, cela donnerait ceci : « Panne économique, investissements étrangers nuls, désenchantement social, un privé parasite, un pays de drogue et du trabendo. » Qui en est responsable d'après Abdelaziz Bouteflika ? « Je n'incrimine aucune catégorie ni personne en particulier. » Allez donc savoir… Ce sont peut-être ces mains invisibles – de l'étranger de préférence – qui ont produit ce sombre tableau de bord économique à mille lieues de la rhétorique officielle démesurément triomphaliste. A défaut de désigner clairement les coupables – ses ministres surtout –, le président s'en prend aux jeunes chômeurs accusés de « préférer travailler comme gardien de nuit au lieu de travailler dans le secteur du bâtiment ou de l'agriculture ». Un discours d'adieu ? Belkhadem a tenu le même langage il y a quelque temps. Comme si le jeune Algérien est condamné à ne travailler que dans l'agriculture et le bâtiment. Il va sans dire que des centaines voire des milliers d'agronomes prennent le large faute d'embauche dans leur pays. Les jeunes, qui ont déjà tourné le dos au pays en allant braver la mer, semblent avoir bon dos pour recevoir les pierres du Président. Tout en promettant de ne pas être « clément avec ceux qui jouent avec l'argent de l'Etat et avec l'argent public », il invite les citoyens à ne pas jalouser ceux qui possèdent de belles voitures ou des villas ni s'interroger sur l'origine de ces nouvelles fortunes. Ceci pour le petit peuple. Quant aux responsables du mauvais boulot, Bouteflika dresse le bilan, mais refuse de situer les responsabilités. Pourtant, quand il dit que « l'investissement a engendré des compagnies privées parasites » et reconnaît que « les entreprises soumises à la privatisation ne trouvent pas acheteur » et s'interroge encore s'il était « normal de donner les mêmes avantages à un investisseur qui ramène un million de dollars et un autre qui en ramène 5 », la cible semble évidente : Hamid Temmar. Mais la balle du Président passe volontairement à côté. De la même manière que si « notre pays est désormais connu pour sa drogue, son trabendo et ses fléaux sociaux », la faute incombe à son équipe gouvernementale, précisément à sa garde prétorienne qu'est le triumvirat Temmar, Zerhouni et Chakib Khelil qui n'a pas su placer les filtres… Mais le Président se garde bien de critiquer ses hommes qui totalisent eux aussi deux mandats à la tête de leurs départements respectifs. C'est pourquoi la colère présidentielle est sujette à soupçons. Et ce n'est pas l'Algérie « qui est un pays étrange » comme le prétexte Bouteflika, mais la gestion de ceux qui en ont les commandes. Sur ce plan, le président de la République a raison de dire qu'il s'est trompé. Et il est déjà trop tard pour rattraper le train.