Soixante-treize jeunes Algériens ont été interceptés hier en pleine mer. Cinquante et un à leur départ de Annaba sur la côte est du pays. Vingt-deux autres à leur arrivée près du port de Carthagène en Espagne. Ces jeunes, appelés communément harraga, ne sont sûrement pas dupes. Ils sont conscients des risques qu'ils ont encourus en s'engageant dans une aventure aussi périlleuse, à l'issue incertaine. Ils ont sans doute entendu parler de la fin tragique vécue par leurs prédécesseurs, des aventuriers « avalés » par la mer, des « immigrés clandestins » refoulés. Ils ont certainement vu des images à la télé de corps inertes de naufragés repêchés par les gardes-côtes algériens ou d'ailleurs. Ils sont également au courant des difficultés une fois arrivés à destination. Avec tous ces dangers et toutes ces contraintes, et en dépit de la « campagne de sensibilisation » menée tambour battant par les gouvernants à travers des programmes télé, nos jeunes continuent à braver la mer à la recherche de l'espoir perdu. Ils ne se font plus d'illusions. Ils sont convaincus que rien de bon ne les attend dans leur pays. Sans perspectives d'avenir, sans boulot, ni cadre de vie acceptable, sans droits, ni justice, ils décident, au péril de leur vie, d'aller à la conquête d'autres horizons pour se faire une place « dans le monde des vivants », car ils sont persuadés qu'ici ils sont déjà morts. En rupture avec le pays, Etat et société, ces jeunes sont en quête d'un avenir à tout prix. Des sociologues, qui ont étudié ce phénomène, affirment que ces harraga ne sont pas des rêveurs. C'est le cas de Zine-Eddine Zemmour, enseignant à l'université d'Oran, qui avait avancé que « d'une certaine façon, ce sont des entrepreneurs, des personnages héroïques, qui savent parfaitement ce qu'ils font ». Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement, avait déclaré que ceux qui fuient le pays sont plutôt ceux qui ont encore de l'espoir, car ils partent à la recherche de lendemains meilleurs. Le gouvernement reste inerte face à ce phénomène qui est loin de s'estomper. Au lieu d'en traiter les causes, il préfère s'en prendre aux jeunes Algériens, accusés de tous les maux du pays. On les qualifie de fainéants, de bons à rien, de « nuls », de « kamikazes » qui « n'ont pas d'amour pour la patrie ». Le dernier discours incendiaire à l'endroit des jeunes a été prononcé par le chef de l'Etat, les accusant de ne vouloir travailler que comme « gardiens de nuit ». Comme si les « innombrables entreprises » créées depuis 1999 souffrent d'un manque de main-d'œuvre. La solution magique qui semble être retenue par le gouvernement pour juguler ce phénomène est celle de jeter ces jeunes en prison. Un projet de loi amendant le code pénal incrimine désormais l'acte de sortir du territoire national sans autorisation. Les prétendants à l'immigration clandestine encourent ainsi de lourdes peines d'emprisonnement pouvant dépasser cinq ans. Ainsi, à défaut de leur donner du boulot, on les jette dans des cachots.