La consommation du café en Algérie prend les allures du sport national le plus populaire. Indétrônable. Le nombre de tifosi de la caféine explose de plus en plus. Même si les statistiques restent muettes sur le nombre de consommateurs de ce liquide, il n'en demeure pas moins que le foisonnement des cafés populaires est la preuve tangible d'une boisson « déifiée ». Fonctionnaire de son état, Smaïl B. sirote sa troisième tasse de café de la journée. Pensif et amer, il rumine ses idées. Il doit encore puiser dans sa poche pour débourser l'addition modique de 60 DA par jour au lieu des 45 « sous » habituels. Ils sont des millions d'Algériens dans son cas à freiner leur gourmandise pour l'arabica, au goût puissant et corsé, une des variétés les plus prisées en Algérie. Dans ces lieux fumants, le chiffre 20, trônant comme un trophée, tient depuis peu le rang d'un numéro « pestiféré ». La raison ? De nouvelles augmentations de 20% sur les prix ont été décidées abruptement depuis juin dernier. Les aficionados de la caféine en ont eu pour leur compte. Les propriétaires des cafés maures, qui se frottent de loin les mains, justifient, pour leur part, ces majorations par le renchérissement du café moulu sur le marché local. En effet, les prix affichés se sont affolés récemment sans pour autant rivaliser avec ceux de la fin de 1993 où le kilo de café avait dépassé la barre psychologique et alarmante des 600 DA. La fin du monopole de l'époque sur le commerce extérieur n'a pas été sans anicroches. La crise du café était imputée notamment à un mauvais approvisionnement. Actuellement, les arguments avancés par les vendeurs pour expliquer cette hausse sont divers. Il s'agit, entres autres, de la hausse des cours mondiaux affectés par la dépréciation du dollar et de la position des pays producteurs (Brésil, Colombie et Indonésie), lesquels, compte tenu du prix du pétrole brut et des autres matières premières, veulent mettre beaucoup de beurre dans leurs épinards. Toujours plus cher Sur les étals des marchands de gros à Kouba, les tarifs flirtent allégrement avec les 490 DA le kilo pour les marques nationales à l'instar de Nizière et Boukhari. Altier et onéreux, le prix des labels étrangers bat tous les records. Exemples étourdissants : le kilo du café Carte Noire est cédé à raison de 900 DA tandis que la marque Nectar est écoulée à 720 DA. « Rares les citoyens aux petites bourses qui y touchent de peur de se brûler les doigts », ironise un vendeur. Chez les détaillants, les prix ont aussi augmenté. Les produits Nizière et Boukhari sont écoulés à raison de 540 DA le kilo. Le café de seconde qualité est vendu à 440 DA. Avec ces prix tout juste feux follets, les consommateurs ont appris depuis longtemps à ne s'approvisionner qu'au compte-gouttes. Fini le temps béni où le kilo de café, désormais produit alimentaire de luxe, valait plusieurs fois moins que le prix actuel. L'esprit de rationnement et les calculs d'épicier habitent tout citoyen. Cependant, l'Algérien ingurgiterait 3 kg de café par an, alors que les voisins tunisiens et marocains consomment respectivement presque 2 kg et 0,8 kg chacun. Ce chiffre est loin d'être une prouesse puisque la consommation moyenne dans les pays de l'Union européenne et en Finlande tourne entre de 6 kg et 13 kg. D'après l'Organisation mondiale du café (OIC), environ 400 milliards de tasses de café sont bues par an, soit environ 12 000 tasses par seconde. Par ailleurs, l'Algérie a importé, selon les chiffres du Centre national de l'informatique et des statistiques (CNIS) des douanes, plus de 60 983 t de café au cours du premier semestre 2008 contre une bagatelle de l'ordre de 149,8 millions dollars, alors que les importations nationales de café avaient atteint 110 000 t pour 220 millions de dollars durant toute l'année 2007. Le gros des importations de l'Algérie provient de la Côte d'Ivoire. Quelque 31 331 t de grains de café ont été importées durant les six premiers mois de ce pays d'Afrique australe avec une valeur dépassant les 76,1 millions de dollars, suivie du Vietnam qui a fourni 15 907,7 t avec une valeur de 39,5 millions de dollars. La troisième place reviendrait à l'Indonésie qui a exporté vers l'Algérie quelque 7942,2 t à raison de plus 17,5 millions USD. La hausse des cours de café sur le marché international a enregistré un effet d'entraînement sur la valeur des importations nationales. Selon l'OIC, les cours de cette matière prisée ont été refroidis par des attentes de récoltes brésiliennes moins abondantes que prévu. Elles sont de l'ordre de 118 millions de sacs (60 kg) en 2007/2008 contre 125,5 millions de sacs en 2006/2007. Les prix avaient atteint le seuil de 2815 dollars la tonne en mars dernier à Londres avant de retomber au-dessous de 2766 USD en juillet . On remarque que les prix de la tonne de grains de café importée en Algérie étaient estimés à 1481 dollars en 2007, et depuis le mois de juillet dernier, elle est estimée à 2766 dollars la tonne, soit une augmentation de presque 100 %, en douze mois. Cet accroissement du prix du café n'a pas manqué d'alourdir la facture des importations nationales qui passe ainsi, tous produits confondus, de 26 à 30 milliards de dollars. L'informel tisse sa trame Selon des torréfacteurs, l'augmentation des prix du café n'est pas seulement due à une flambée de la matière première sur le marché boursier. Pour eux, une chose est sûre : certains importateurs s'adonnent à la spéculation en écoulant sur le marché des quantités stockées auparavant acquises à un prix ancien plus bas. De la sorte, les torréfacteurs, désarmés, sont mis au pied de mur : vendre à prix élevé ou disparaître à petit feu. Outre ce diktat déguisé, les torréfacteurs se plaignent aussi d'autres dépenses qui viennent ainsi grever leur marge bénéficiaire. Autre mal pernicieux : l'informel qui tend hideusement sa toile sur le marché national. Selon un propriétaire d'une entreprise de torréfaction, qui a requis l'anonymat, l'activité informelle constitue entre 60 et 70% du marché. Le chiffre donne froid dans le dos. Tout ou presque se fait dans un climat déloyal. Sur le papier, les capacités des torréfacteurs, industriels et moyens en Algérie, frôleraient, d'après lui, les 250 000 t par an, soit deux fois et demie la demande. Catégorisé comme un produit de luxe, l'importation du café est soumise à deux taxes, à savoir 30% de droits des douanes en plus des 10% de la taxe intérieure de consommation (TIC). Cette dernière n'est pas du goût des torréfacteurs industriels qui réclament sa suppression. Le ministère du Commerce semble moins pressé d'accéder à leur vœu. De l'application de ces taxes, le Trésor public amasserait, selon notre source, entre 6 et 7 milliards de dinars par an.