La visite hier du président libanais Michel Sleiman en Syrie marque un tournant dans les tortueuses relations syro-libanaises. La Syrie a de tout temps refusé de reconnaître l'indépendance du petit voisin libanais depuis la levée du mandat français. Au Liban, il y a toujours eu des partisans de l'intervention syrienne, politique ou militaire durant ces dernières quarante années. Parmi ceux-là mêmes qui se disent aujourd'hui anti-syriens, certains n'avaient-ils pas appelé au secours l'armée de Hafez Al Assad en 1976 en pleine guerre civile libanaise ? De chaque changement d'alliances au sein de la poudrière libanaise résultait une réorientation des allégeances extérieures. Le politologue Ahmed Beydoun expliquait à El Watan que la stabilité du Liban dépendait, d'un côté, d'un arbitre intérieur fort en la personne du président de la République et, de l'autre, d'un puissant tuteur étranger. Au fil des récentes crises libanaises, l'arbitre interne, en l'occurrence l'ancien chef de l'armée, Michel Sleiman, tente, tant bien que mal, de s'imposer face à une classe politique héritée de la guerre civile (1975-1990). Mais concernant le tuteur étranger, chaque partie libanaise a choisi son camp dans l'échiquier mondial et régional. L'Iran, l'Arabie Saoudite, les Etats-Unis, la Syrie, du moins les plus ostentatoires des appuis extérieurs, jouent à la guéguerre à travers leurs multiples alliés libanais. Ces derniers, de par la diversité spécifique au Liban, mobilisent aussi bien les enjeux géopolitiques que les appartenances confessionnelles en un dangereux cocktail explosif. Au-delà des questions épineuses que doivent discuter Michel Sleiman et Bachar Al Assad à Damas, telle que l'ouverture d'ambassades, la délimitation des frontières, la révision d'anciens accords (notamment le traité dit de « fraternité et de coopération » de 1991), la question des détenus libanais en Syrie et celle des mouvements palestiniens pro-syriens armés présents au Liban, le véritable challenge de cette visite historique serait de commencer à clarifier une fois pour toutes le poids du puissant voisin syrien au Liban. Il s'agira, au moins avec Damas en attendant que suivent les autres tuteurs étrangers, de commencer d'évoquer le Liban comme un Etat souverain à part entière et non une arène de conflits par dérogation. Un Etat, certes, fragilisé par un système partisan féodale et confessionnel, un Etat en proie à la violence comme vient malheureusement de le rappeler l'attentat d'hier à Tripoli, mais un Etat qui reste, malgré tout, un modèle du vouloir vivre ensemble et de la diversité culturelle et religieuse.