Presque chaque quartier avait ses salles de cinéma au lendemain de l'indépendance. A La Casbah, il en existait trois : Nedjma, Djamel et l'Odéon qui ont fermé deurs portes depuis. Pas besoin pour Mohamed B., cinéphile indécrottable, de faire un grand effort, en partant de la rue N'fissa où se trouvait la maison paternelle. La salle Nedjma était à quelques pas de là, à la rue Arbadji Abderrahmane. « Elle a fermé il y a tellement longtemps que je ne me souvient même pas de la date. Le mal qui a été fait c'est d'en céder la gestion aux APC », se désole Mohamed. Ces salles avaient leurs habitués, pour la plupart des jeunes, à une époque où la télévision n'était pas dans tous les foyers. « L'affluence était nombreuse. les trois séances se suivaient presque : deux l'après-midi et une seule en soirée, avec toujours un public hilare, mais toujours sans femmes. La seule fois où j'en ai vu, c'était lors de la projection de la Bataille d'Alger, en 1965, au Marignon, à Bab El Oued », rectifie-t-il. Les tarifs étaient presque les mêmes partout. « A Nedjma, à l'indépendance, le ticket d'entrée rouge cartonné était, précise-t-il, à 27 douros avant qu'il n'atteigne plus tard 44 douros. Par contre, Le tarif était 54 douros au Marignon et un peu plus cher à l'Atlas, à Bab el Oued, à 70 douros ». Comment on se débrouillait l'argent ? En économisant, et surtout en vendant des « illustrés », dont il se rappelle toujours les noms. Sa culture cinématographique remonte à cette « belle époque » de l'après-indépendance qu'il évoque toujours avec une pointe d'amertume dans la voix : « Autant j'étais incollable dans le cinéma ancien autant j'ignore presque tout du nouveau. » C'est de cette période que date ce background qu'on lui reconnaît. « Ces salles avaient toujours le même programme de films égyptiens, hindous, italiens et surtout américains. Les péplums avaient notre préférence. Mais rien de ce que l'on voit actuellement dans les quelques salles qui restent n'est perceptible à cette époque. Pas d'injures et surtout pas ces orgies que l'on nous raconte », relève Moh. Les moins de trente ans n'ont pas souvenance de l'« époque bénie » de ammi Moh. Hicham en fait partie. « Les carottes sont cuites », se pressera de lui dire le quinquagénaire. Mais l'enfant de Didouche peut raconter le « quotidien » de ces salles d'Alger-centre qui « ont fait de la résistance ». « A la salle Afrique l'on projetait surtout les inévitables films américains avec en tête d'affiche Rocky Balboa, mais aussi des films plus osés, auxquels l'on assistait qu'en usant de subterfuges comme se cacher dans les issues de secours », assure-t-il en disant que l'ex-Empire a changé de vocation avec le début des années 1990 en accueillant les meetings politiques. Plus haut, le Sierra Maestra, sur la rue Khelifa Boukhalfa, a connu d'autres spectacles, soutient-il : un accrochage entre des « fréros » du quartier et des flics qui les filaient. « Deux d'entre eux se sont engouffrés dans la salle dans un crépitement de balles. Ils en sont pourtant sortis. Ils connaissaient sûrement la sortie de secours. » Les « fréros » étaient, à coup sûr, des habitués de la salle de Meissonnier... qui a perdu les « siens » depuis bien longtemps.