Un père de famille, suivi de trois bambins en sac à dos, descendent du bus. Ils traversent la rue. Les enfants marchent d'un pas pressé au niveau de l'esplanade ; encore des escaliers et une pente avant d'arriver. Ils ne peuvent plus se retenir. Ils se mettent à courir. L'impatience se lit sur leurs visages, le papa est encore loin derrière et il faut l'attendre pour payer les 30 DA qui leur permettront d'entrer. A la porte, des petits les regardent d'un air envieux. Eux, sont seuls et n'ont pas les moyens d'y accéder ; pour eux, il n'y a que la plage d'à côté. La piscine d'El Kettani est parmi ces lieux de la capitale hors du temps. C'est un monde à lui seul, géré par des personnes hautes en couleur. A la caisse, à l'entrée, siège celui que tous appellent Ammi Omar. Agé de 70 ans, il travaille à la piscine depuis 12 ans. C'est l'âme des lieux, l'homme de confiance ; il y fait tout : du gardiennage pendant l'année, à la gestion de la caisse et au nettoyage pendant la saison estivale. Il est là 7 jours sur 7. Dans un français parfait, et d'une galanterie rare, il nous explique avec une grande gentillesse et plein de malice dans le regard, son parcours : « J'ai commencé à travailler dans ce milieu à partir de l'âge de 11ans. Mais à l'époque, j'étais à Padovani. Puis en 1962, j'ai été fonctionnaire dans le conseil populaire de la ville d'Alger. Je travaille ici depuis que j'ai pris ma retraite. » Quand on l'interroge sur ces petits, agglutinés devant la porte, et qui regardent les autres s'amuser, il répond : « Que voulez vous que l'on fasse ? On ne peut pas se permettre de les laisser rentrer ; imaginez qu'il y ait un accident. Des fois, ils tentent de se faufiler. Mais ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire la grimace. » La piscine d'El Kettani est un lieu mythique. C'est là où de nombreux Babelouediens ont appris à nager ; planches et ceintures sont, gratuitement, prêtées à cet effet. Située au cœur du quartier populaire, elle accueille 600 à 700 personnes par jour. La fréquentation est généralement familiale. El Harbi, 54 ans, habitant et pharmacien de Bab El Oued raconte : « J'amène régulièrement mes enfants ici. Le cadre est très agréable. Je lis mon journal sans me faire de souci, car l'endroit est sécurisé. » Plusieurs maîtres nageurs surveillent en permanence les 3 bassins : un pour les petits, un pour les filles et le plus grand pour les garçons. Quand ce dernier est fermé, le moyen se retrouve coupé en deux par une corde pour séparer les filles des jeunes garçons. Une grand-mère de 65 ans en est ravie : « Cet endroit me plaît beaucoup : il y a une grande sécurité ; mais surtout, il y a un grand respect entre les gens. Il est important, selon moi, de séparer les jeunes filles des garçons. Le contraire m'aurait dérangé et déplu. » Une autre dame assise à proximité est mécontente : « C'est la première fois que je viens ici et je trouve qu'il y a beaucoup trop de monde. En plus, le manque d'hygiène est apparent. » Sur cette question, les responsables, Mustapha Kennoun et Mohamed Atbi, se défendent : « Nous changeons l'eau des bassins, au moins cinq fois par semaine. Tous les samedis, les services d'hygiène viennent faire des contrôles et des prélèvements. De toute façon, nous en faisons nous mêmes. La piscine est aux normes. » Le complexe ouvre à 7 heures pour le nettoyage et est ouvert au public à partir de 10 heures. Cependant, le vrai problème de la piscine est le manque cruel de moyens. Le ministère de la Jeunesse et des Sports, dont elle dépend, ne fournit aucun budget. La piscine ne trouve son argent que dans les 30 DA de l'entrée. Il faut payer avec ça le salaire des 32 employés et toutes les dépenses qu'une telle infrastructure exige. Voilà pourquoi elle n'a ouvert que le 16 juillet, alors que les vacances scolaires ont débuté en juin. Dans de telles conditions, les coupures d'électricité représentent une réelle catastrophe : les moteurs s'arrêtent, et l'eau se salit. Il faut alors vider la piscine, et interdire l'accès. La présence d'un groupe électrogène serait bien utile dans ces situations. Il ressort de la piscine d'El Kettani une profonde humanité. Pendant quelques heures, les problèmes de ce quartier populaire s'estompent, et les enfants retrouvent leur insouciance, en particulier les jeudis après-midi avec le spectacle des clowns. Karima, 32 ans, infirmière, raconte : « Les yeux et le sourire des enfants nous font oublier tous les problèmes que l'on peut rencontrer. Ils m'apportent personnellement beaucoup. »