A quelques jours du mois de Ramadhan, les marchés des fruits et légumes se mettent d'ores et déjà au régime d'une véritable bourse de valeurs. Ça flambe de partout et la spéculation va bon train. Les ménages, eux, entrent dans la peau de victimes arnaquées sans pour autant envisager l'exclusion des fruits et légumes de la table durant le Ramadhan. « Excessif ! », lance une dame à la figure d'un détaillant du marché Ali Mellah (place du 1er mai), commentant les prix affichés sur les étals. Lui répliquant sans détour, le marchand, ferme et inflexible, n'a trouvé à dire que ceci : « Attendez quelques jours et vous verrez les véritables tarifs. » Ça promet ! Les agriculteurs, eux, ne cessent de crier à « l'arbitraire ». Il y a quelques jours, ces derniers avaient dénoncé les tarifs d'achat « injustement bas et les prix de vente scandaleusement élevés ». Visiblement, un dysfonctionnement semble exister sur le circuit de commercialisation. Mais sur les marchés de détail, c'est le duel récurrent entre marchands et clients. Au marché Ali Mellah de la place du 1er Mai (ex-Champ de manœuvre), des vendeurs à la sauvette, postés à l'entrée du marché, proposent de la pomme de terre, des tomates et des fruits à des prix soigneusement calculés. Histoire de séduire les petites bourses, disent-ils. Des pêches à 70 DA le kilo, des raisins cédés à 50 DA et des pommes de terre à 30 DA. Mais ce petit marché de fortune installé clandestinement à l'entrée du « bazar » ne fait pas le bonheur des commerçants dit « réglos » de l'intérieur. Le marché dit formel n'est pas mieux loti. A l'intérieur, c'est une pagaille épouvantable. Outre le mélange d'odeurs acres et repoussantes qui fait fuir le plus téméraire des clients, sur les étals, les prix affichés inquiètent plus d'un. La pomme de terre fraîche affiche 40 DA le kilo, alors que celle provenant des chambres froides est proposée à 30 DA. La tomate est cédée à 40 DA, les haricots verts à 100 DA, la carotte à 50 DA, la courgette à 60 DA, le poivron et le piment à 90 DA et l'oignon à 25 DA, alors que la laitue, qui habituellement orne les tables, est pratiquement introuvable ou commercialisée à des prix qui dépassent l'entendement. Les pics de ces derniers jours semblent être injustifiés d'autant que les prix pratiqués sur les marchés de gros sont inférieurs aux tarifs des marchés de détail, si l'on se réfère aux agriculteurs, premier maillon de la chaîne. Manifestement, les ménages en ont gros sur le cœur. Face à cette situation, la stupéfaction de tout un chacun se fait entendre. Les prix ont connu une envolée en un laps de temps très court. Un vieillard témoigne avoir payé, le week-end dernier, la pomme de terre à 15 DA le kilo sur la route reliant Bouira à Alger. Le vieil homme, à la figure ridée, reste perplexe devant les prix appliqués sur les marchés de l'Algérois. « Tu aurais dû faire le plein au lieu de venir te plaindre chez moi. Ici, je paye ma place et ce n'est point avec 15 DA le kilo de pomme de terre que je vais régler ma facture de location », lui lance un marchand décidément décontenancé par ses propos. De Meissonnier à Bab El Oued, les pieds dans les égouts Les ménagères et chefs de famille risquent de perdre la raison face à cette flambée, qui s'accentue à l'approche du mois sacré. Les commerçants se complaisent dans le rôle de spéculateurs contribuant à tirer les prix vers le haut, au grand dam des consommateurs. A Meissonnier (centre d'Alger), les vendeurs du marché informel font la loi. L'accès principal au marché fermé pour des raisons inconnues annonce la couleur. Avant de recevoir le choc des prix, les clients doivent emprunter une ruelle boueuse à l'aspect bleuâtre longeant de gros containers à ordures pour pouvoir enfin entrer au marché. On est en début d'après-midi. A cette heure-ci, les derniers cageots de fruits et légumes sont habituellement vendus à des prix plus abordables que ceux pratiqués dans la matinée. Ce n'est pas le cas à Meissonnier, où les commerçants sont maîtres des lieux, en l'absence des autorités censées réguler le marché. Le client est loin d'être roi. Les prix sont les mêmes qu'ailleurs, c'est-à-dire élevés. Selon les commerçants, il ne sied plus de parler de prix mais en termes de disponibilité des produits. Le marché repose sur la notion de rareté. « On dirait que vous n'avez aucunement été touché par la crise de la pomme de terre, c'est pourquoi vous parlez aujourd'hui de prix exagérés », nous lance un détaillant de légumes installé à l'intérieur du marché. Et d'ajouter : « Si vous êtes des services d'hygiène, le nettoyage des lieux ne relève pas de mes prérogatives. » Parler des tarifs pratiqués par ces mêmes marchands est considéré comme un péché et/ou outrage impardonnable. Qui osera défier ces mêmes commerçants face au caractère exorbitant des tarifs appliqués ? « C'est l'effet de l'approche du mois de Ramadhan », notera une dame que nous avons interrogée. Au marché des trois Horloges de Bab El Oued, sous un soleil de plomb, les marchands exerçant dans l'informel à l'extérieur du marché attirent plus de foule. Et pour cause : « A l'intérieur, on vous propose des légumes à un prix plus élevé qu'ici. Le prétexte invoqué est lié au fait qu'ils payent une taxe auprès des autorités. C'est complètement insensé car il ne s'agit que d'une petite taxe insignifiante », fait valoir un commerçant exerçant à l'entrée du marché. L'idéal serait que producteurs et vendeurs mangent dans le même plat, payé au même prix qu'ils appliquent sur le marché. Mais en toile de fond de cette problématique, figure une mission non accomplie par l'Etat : celle de réguler le marché.