La ville a renoncé, à son corps défendant, à vivre. D'autres mœurs ont pris racine, au fil du temps, chez la plupart des Constantinois, qui, manque de lieux de loisirs et de détente oblige, ont appris à ne plus quitter leurs pantoufles. Les commerçants s'empressent de fermer boutique dès 18h, laissant chacun devant sa devanture, tristement et désespérément close, des amas hétéroclites de cartons, plastiques et autres emballages, seuls témoins de la frénésie diurne. Remarquons que ceux-ci pourraient prolonger l'activité en cette période de canicule où beaucoup souhaiteraient faire leurs emplettes à l'abri de la fraîcheur vespérale. D'autres aussi, ceux pratiquant des métiers d'astreinte, rêvent de trouver, à la sortie du travail, une ville riante, accueillante, brillant de mille feux, touchée par la grâce enchantée de quelque génie bienfaisant, et transformée enfin en cité du troisième millénaire… L'impitoyable réalité est là. Les personnes s'avisant de s'attarder au-delà du crépuscule arborent une mine inquiète, le regard en quête de quelque taxi-fraudeur, pour pouvoir rejoindre le sweet home, où ils pourront s'installer, bien sagement, prêts à vivre, par procuration, en regardant les feuilletons à l'eau de rose, seuls succédanés à un quotidien malaisé. A seulement seize kilomètres de cette cité, décidément indolente, la petite commune d'El Khroub se permet des velléités de veillées nocturnes, joyeusement vivantes et tardives. Nous parlons, dites-vous, de la troisième ville du pays que nous comparons, bien audacieusement, à une petite localité limitrophe. Pourquoi pas, au demeurant ? Comment expliquer par ailleurs que ces mêmes citoyens, défiant toutes les privations, de quelque nature fussent-elles, sans parler de la situation sécuritaire, souvent prétextée, sortent durant les soirées « ramadhanesques » ? Pourquoi n'en serait-il pas ainsi pendant toute la saison estivale, sachant surtout que ce ne sont pas tous les occupants du Vieux Rocher qui ont la chance de partir en villégiature ? Hiberner onze mois sur douze, voilà un nouveau mode de vie, désormais tacitement admis. Voilà comment appréhender l'existence dans les cités de cette ville saturée, zapper, zapper, boire le zapping jusqu'à la lie.