Tradition bien établie, héritée de grands-mères rigoureuses et pieuses, la préparation du Ramadhan est menée avec une attention et une dévotion toutes particulières par les femmes de Biskra. Ainsi, à quelques jours de ce mois sacré, de nombreuses mères de famille, secondées par des escouades de filles, cousines, nièces et sœurs, unissent leurs efforts pour nettoyer à grande eau la maison ou l'appartement, dont les tentures, rideaux et couvre-banquettes sont nettoyés ou carrément changés. C'est aussi l'occasion, pour les plus âgées d'entre elles de consacrer un peu d'argent à l'achat de vêtements, d'un tapis de prière et d'un chapelet. C'est souvent en groupe qu'elles prennent d'assaut les magasins où l'on vend de la vaisselle traditionnelle pour dégoter un « tajine », un fait-tout ou une soupière en terre cuite de fabrication locale. On passe ensuite à l'achat du fameux « Doua ras el hanout », ce mélange de plusieurs épices, savamment dosées, vendu à 500 DA le kilo et composé de carvi, coriandre, cumin, cannelle, clous de girofle, graines d'anis, gingembre et même bourgeons de roses séchées, selon une spécialiste. Cette denrée demeure la plus demandée, car les ménagères, à Biskra, ne sauraient se passer de ce précieux produit qui confère à l'art culinaire de la région son cachet typique, et bien que plusieurs épiciers en proposent d'une très bonne qualité, celles-ci préfèrent s'adresser à d'autres femmes expertes en la matière, qui le préparent elles-mêmes, ainsi que pour le couscous, trida, rechta, rouina (farine de dattes) et « frik », blé dur récolté vert, torréfié et finement concassé, lequel constitue le principal ingrédient de la chorba dont raffole la majorité des jeûneurs. Entre frénésie et spiritualité Une dame prévoyante et attentionnée envers les siens explique : « J'ai mis en sachets à congeler de la sauce tomate, des fonds d'artichaut, des gombos, des petits pois et même des lamelles de poivrons, de piments et de tomates grillées pour la confection de la salade mechouia (h'mis) que tout le monde apprécie ». Pour Anissa, universitaire d'une trentaine d'années, « au-delà de l'aspect consumériste qu'il revêt inévitablement, le Ramadhan favorise une introspection permettant un ressourcement salutaire et la correction de tous nos comportements si tendancieux, nourris par un matérialisme effréné, l'égoïsme et l'individualisme ». Et d'ajouter : « Pour moi, c'est une occasion de relire le Coran en entier afin d'en saisir la substance. Le Ramadhan est un moment d'humanité incomparable qui nous promeut, en principe, vers un niveau de spiritualité supérieur. La ferveur et la foi doivent primer sur la boulimie qui s'empare des gens, oubliant souvent que le gaspillage et la surconsommation sont des péchés. Pensons aux plus démunis d'entre nous, aux malades, aux handicapés, aux personnes âgées, aux enfants abandonnés et aux femmes seules ». Consciente qu'elle aura à mener un combat quotidien sur trois fronts à la fois, le Ramadhan, la rentrée scolaire et ses obligations professionnelles, une infirmière d'une quarantaine d'années confie, entrecoupant ses phrases d'éclats de rire : « Mon mari est un vrai maniaque durant le mois de Ramadhan ; le manque de nicotine et de café le rend fou ». Par ailleurs, elle souhaite « un bon Ramadhan à tous les Algériens, qui ne doivent pas oublier que les femmes, mères, épouses ou sœurs jeûnent aussi, mais que, néanmoins, elles se démènent pour satisfaire les desiderata et autres lubies ramadhanesques de chacun des membres de la famille ». Certaines d'entre elles pensent déjà au menu du premier jour, lequel, à n'en pas douter, sera composé de quelques dattes et autres fruits, d'un hors-d'œuvre, de chorba-frik, de bourek, et de « Tadjine hlou », l'incontournable ragoût de bœuf aux pruneaux, amandes effilées et raisins secs du premier ftour « pour que tout le mois de Ramadhan, soit sucré et doux », assurent-elles en choeur.