La presse algérienne a bon dos : elle vient d'être accusée par le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, devant le Parlement à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire, d'outil de propagande du terrorisme, exhortant les journaux à revenir « à la raison ». Cette réaction du chef du gouvernement fait suite à l'offensive médiatique des anciens responsables du parti dissous et d'anciens chefs terroristes ayant bénéficié de la loi sur la réconciliation nationale qui squattent les colonnes de certains journaux dans l'objectif évident de revenir sur la scène politique. Le débat n'est pas nouveau en Algérie, pas plus qu'il n'est propre uniquement à notre pays. Depuis l'apparition du phénomène du terrorisme en Algérie, les avis ont toujours été partagés quant à la question de savoir s'il faille ou non médiatiser les attentats terroristes et les déclarations de chefs politiques islamistes intégristes. Où s'arrête l'information et où commence la propagande ? Face au vide juridique qui avait caractérisé le système de la communication et de l'information en Algérie, le gouvernement sous le règne de l'ancien premier ministre Belaïd Abdesslam avait pris le problème par le mauvais bout , instituant une « imprimatur », une espèce de visa de l'autorité auquel les médias étaient obligatoirement soumis avant la diffusion de toute information sécuritaire. Les journaux avaient vu dans cette mesure une volonté du pouvoir de museler la presse et d'instaurer une chape de plomb sur l'information sécuritaire. Autant dire que la mesure n'a pas résisté aux réalités du terrain. Le déficit, pour ne pas dire l'absence de communication officielle sur les activités terroristes, a rendu caduque l'application de cette loi. L'apparition des chaînes satellitaires arabes et le développement de l'outil internet ont fait que le débat controversé sur la médiatisation des attentats terroristes s'en est trouvé désormais tout bonnement dépassé dans le monde d'aujourd'hui marqué par la globalisation et l'interconnexion des réseaux et des systèmes d'information. La responsabilité du support médiatique Il serait absurde de continuer à croire que l'on puisse, à coups de décrets ou en appelant les professionnels de la presse au respect des règles de l'éthique, empêcher une information de quelque nature qu'elle soit, sécuritaire ou autre de circuler et de franchir les frontières des Etats, y compris les plus rigides et les plus fermés. Cela au plan technique et technologique. Il reste l'aspect politique du débat. Les journaux qui ouvrent leurs colonnes à la littérature islamiste ont certainement leurs raisons pour le faire comme ceux qui s'imposent la règle contraire au nom de l'idéal démocratique et qui consiste à s'interdire tout flirt, même superficiel, avec ce courant. Les uns et les autres ont leurs arguments que l'on peut partager ou non. Un état absent Les premiers invoquent, à leur actif, le fait que les anciens chefs du parti dissous qui interviennent en bonne place dans leurs colonnes sont réhabilités par la loi sur la réconciliation nationale et jouissent au regard de la loi de leurs droits civiques et politiques. Il n'y a rien dans la loi en question qui interdise aux élargis du parti et autres personnalités amnistiées et repentis d'exercer leurs droits civiques et politiques. Sauf pour des cas précis où la personne concernée est interdite d'activités politiques et de déclarations, à l'instar de Ali Benhadj, qui ne s'est jamais astreint pour autant à ces conditionnalités judiciaires. Il reste à l'Etat de faire appliquer la loi s'il juge que l'auteur des propos et des déclarations tenus et publiés sont en violation des lois du pays. La co-responsabilité du support médiatique y est juridiquement pleinement engagée. La diffamation, l'outrage à corps constitués, l'apologie du crime et du terrorisme sont punis par la loi. Force est de constater que dans ce débat, l'Etat est totalement absent, laissant la presse et les journalistes se démener seuls dans ce débat cornélien. Au-delà de la question sur l'éthique professionnelle sur laquelle chacun peut avoir sa définition qui renvoie à des intérêts bassement matériels ou idéologiques et politiques, le gouvernement n'est-il pas le premier responsable de cette cacophonie et surenchère médiatique de par l'opacité qui a entouré la mise en œuvre de la loi sur la réconciliation nationale ? Quel est le statut, au regard de la justice, des personnalités de l'ancien parti qui renouent publiquement avec l'activité politique sans que personne trouve à y redire ? Ont-ils été amnistiés ? Si c'est le cas, l'Etat a le devoir de le faire savoir publiquement à l'opinion pour que les choses soient claires. La politique des arrangements politiques et politiciens qui consiste à faire des entorses à la loi au nom de la paix civile et de la réconciliation nationale nous conduit fatalement à des situations où l'Etat, en négociant son autorité, sacrifie le droit et la justice à la politique. Et comme l'Etat est toujours parfait dans la gestion des crises, c'est toujours le maillon faible ou supposé tel – dans ce cas la presse – qui est voué aux gémonies pour préserver de pseudo-équilibres nationaux.