Le 13 juillet dernier, Bashar Al Assad arrive comme une star au sommet inaugurant l'Union pour la Méditerranée (UPM) à Paris. Toutes les caméras sont braquées sur lui et son épouse Asma, brillante économiste diplômée des meilleures universités de Londres. Interviews par-ci, rencontres avec dirigeants arabes et occidentaux par-là, le président syrien ne laisse guère indifférent. Damas (Syrie) : De notre envoyé spécial Sa présence au sommet, parmi une quarantaine de chefs d'Etat, est la plus médiatisée. Les journalistes ne le lâchent pas d'une semelle, suivent le moindre de ses pas et commentent le plus anodin de ses gestes. On se souvient, par exemple, de cette image d'un Bashar Al Assad évitant subtilement une poignée de main compromettante avec le Premier ministre israélien Ehud Olmert, diffusée sur des chaînes télé d'information continue. Son déplacement en France est méticuleusement préparé. Rien n'est laissé au hasard. Il assiste au défilé de la fête nationale française du 14 juillet à laquelle il a été convié, au même titre que quelques grands dignitaires arabes et hauts dirigeants européens. Son succès est à mettre sur le compte de la diplomatie baasiste. Grâce à l'aide du président français Nicolas Sarkozy, Al Assad junior retrouve ses lettres de noblesse et retourne dans son pays avec comme trophée de guerre quelques fragments du mur de l'isolement imposé depuis plus trois ans par l'Administration américaine. En participant grandement au sommet de l'UPM, le chef de l'Etat syrien jette les premiers jalons du retour de son pays dans le concert des nations. Il signe volontiers l'accord portant rétablissement des relations diplomatiques avec le Liban, sous l'œil bienveillant du président Sarkozy. Un mois après sa signature, l'accord entre en vigueur, avec la visite historique le 13 août dernier du président libanais, Michel Souleymane, élu en mai au terme de plusieurs mois de tractations laborieuses entre les factions politiques de Beyrouth. Le président Al Assad se montre ainsi disposé à œuvrer au retour de la paix dans la région du Moyen-Orient, acceptant d'engager son pays dans des négociations indirectes avec l'Etat israélien. « Bashar Al Assad a compris la tactique de jeu israélienne qui consiste à chaque fois à présenter les autres pays arabes, à leur tête la Syrie, comme les fossoyeurs de la paix dans la région. Il plaide ainsi pour la paix avant même qu'Israël ne le propose, mettant à l'épreuve les bonnes intentions de l'Etat hébreu », explique Khaled Al Aboud, parlementaire syrien. Orientations politiques nouvelles Mise en quarantaine depuis près de trois ans car suspectée d'être le principal commanditaire de l'assassinat, en février 2005, de l'ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri, la Syrie, après sa participation à la conférence d'Annapolis en novembre 2007, confirme en effet les nouvelles orientations de sa politique étrangère. Elle joue sur plusieurs fronts pour gagner la paix intérieure et revenir – renforcée – sur la scène régionale et internationale. « Les tractations diplomatiques n'ont jamais cessé depuis qu'elle (la Syrie) était désignée d'un doigt accusateur dans l'affaire de l'assassinat de Hariri. Ces efforts semblent avoir abouti à un pacte d'entente avec les Européens », souligne Omar Al Abdullah, politologue syrien et doyen de la faculté des sciences politiques de Damas La visite de Nicolas Sarkozy les 3 et 4 septembre courant à Damas, vient renforcer cette idée de rapprochement entre l'Union européenne et le pays d'Al Cham. « La France essaie d'exploiter le vide laissé actuellement par l'Administration américaine en fin de mandat pour se replacer dans la région et avoir à jouer un rôle majeur dans le règlement des conflits », relève un professeur de sciences politiques à l'université de Damas, pour lequel il est clair que la France cherche à être un acteur incontournable dans la région. « Depuis qu'il est au pouvoir, le président Sarkozy s'est montré offensif sur le plan international, bousculant parfois les traditions diplomatiques françaises. C'est un chef d'Etat qui veut réhabiliter la place de la France comme grande puissance et acteur principal dans le règlement des conflits dans le monde et refuse d'être inféodé aux Etats-Unis d'Amérique, comme l'ont fait et le font toujours certains », ajoute notre interlocuteur. Le chef de l'Etat français affiche clairement cette volonté de son pays de peser au Proche-Orient. « Pour le faire, le président Sarkozy sait qu'il n'y pas d'autres chemins que de passer par Damas », indique le politologue Omar Abdullah. Le grand retour de l'amitié franco-syrienne après cinq années de brouille est fondé sur des intérêts communs. « La France a compris qu'il est impossible de continuer à isoler la Syrie qui dispose de cartes maîtresses dans le règlement des conflits qui secouent la région », indique Mahdi Dakhel Allah, ancien ministre syrien de l'information pour lequel l'ouverture d'une nouvelle page entre la France et la Syrie n'est qu'une preuve de l'éloignement de la politique de Sarkozy de celle des Américains. « Les Français en particulier et les Européens en général ont compris que la politique américaine les a conduits à l'impasse et à l'aggravation de la situation dans le Proche-Orient. Ils ont constaté l'échec du projet USA dans la région et décidé d'emprunter une nouvelle voie qui pourrait s'avérer meilleure que celle de l'affrontement direct avec la Syrie », analyse M. Dakhel Allah. Les Etats-Unis refusent cependant de reprendre langue avec Damas et considèrent la Syrie comme un « Etat voyou », qu'ils ont toujours sur la liste des pays à envahir. L'affaire Hariri a envenimé davantage les relations déjà belliqueuses entre la plus grande puissance mondiale et la patrie du baasisme arabe. La Syrie est ainsi mise en quarantaine diplomatique par les Etats-Unis, frappée d'un boycott de fait des grands pays arabes, dont l'Arabie Saoudite, qui lui imputaient la vacance du pouvoir au Liban. Si la France tourne la page, l'Arabie Saoudite et l'Egypte par exemple s'arc-boutent sur leur position. « Si la raison ayant poussé ces pays à boycotter la Syrie est la situation au Liban, pourquoi donc ne rétablissent-ils toujours pas leurs relations avec Damas maintenant que le Liban l'a fait ? Parce que la décision ne leur appartient pas. Ils sont inféodés aux Américains et tant que les Etats-Unis ne changent pas de perception et de politique vis-à-vis de la Syrie, ils continueront à accuser l'Etat syrien d'être derrière tous les malheurs qui leur arrivent », soutient Khaled Al Aboud, ironisant sur la fraternité arabe qui est mise en lambeaux. « La Syrie est régulièrement soumise à des coups de boutoir d'Israël, tantôt par un mystérieux raid aérien au-dessus de son territoire, comme à l'automne 2007, tantôt par l'assassinat sur son sol d'un chef militaire du Hezbollah comme Imad Moughniyeh. Jamais cela n'a suscité une réaction de la part de ses pays frères du Golfe. Mais on voit comment ils se précipitent à condamner la Syrie lorsque les Etats-Unis l'accusent », s'époumone-t-il. Unique pays se réclamant de la laïcité dans le monde arabe, la Syrie est accusée par les Etats-Unis d'être à la fois un foyer du terrorisme international, un pivot de « l'axe du mal », le phagocytaire de la Palestine et le fossoyeur du leadership libanais. Autrement dit, elle est considérée comme le grand agitateur et perturbateur des calmes et douces nuits moyen-orientales. « Les gouvernants syriens ont su résister à ces pressions et tenir tête à l'administration américaine et à toutes ses tentatives de déstabilisation », affirme un journaliste syrien, précisant que « si la Syrie est ciblée par les Etats-Unis, c'est parce qu'elle constitue le noyau dur de la résistance contre les projets américains qui visent à regenter la région en fonction de leurs intérêts et ceux d'Israël. Ses rapports avec l'Iran, principal ennemi de l'Occident, y sont aussi pour beaucoup ». Attachement à l'Iran Mais le régime syrien n'est pas prêt à revoir ses relations avec l'Iran pour satisfaire l'ego des Américains. Non. « La Syrie grâce à ses positions constantes sur les questions régionales comme le conflit palestinien et la résistance irakienne a réussi à briser le mur de l'isolement et à faire échouer le projet américain du Grand Moyen-Orient que les peuples arabes refusent en bloc. Ses relations avec l'Iran sont stratégiques. Comme elle entretient de bonnes relations avec la Russie et la Turquie », relève le politologue Omar Abdullah. Les échanges commerciaux syro-iraniens sont estimés à plus de 6 milliards de dollars par an. La Syrie se montre ainsi pragmatique et refuse de changer sa position quant au nucléaire iranien. « Notre position est ancienne : le Proche et le Moyen-Orient doivent être débarrassés de toute arme de destruction massive », répond Bashar Al Assad à son homologue français qui insiste sur le fait que « l'Iran ne doit pas posséder l'arme nucléaire ». Le chef de l'Etat syrien sait que la plus grande menace vient d'Israël, qui possède l'arme atomique. « Les relations syro-iraniennes ont connu leur premier succès lors de la réussite de la révolution des ayatollahs en 1979. Depuis, l'Iran n'a jamais été l'ennemi de la Syrie. Au contraire, il a été son allié dans la région. Les relations entre les deux pays sont fondées sur des intérêts partagés et le respect de la souveraineté de chacun », indique encore Omar Abdullah, qui évoque dans le sillage les relations arabes qu'il trouve loin d'être fraternelles. « La Syrie a toujours œuvré pour l'établissement de bonnes relations avec tous les pays arabes. Le nationalisme arabe n'est pas un vain mot chez les Syriens. Ils y croient dur comme fer et le prouvent à chaque occasion en se solidarisant et en apportant leur aide aux peuples palestinien, irakien et libanais, à chaque fois que cela est nécessaire », ajoute le même analyste. Pour Omar Abdullah, la dégradation des relations arabo-arabes et arabo-syriennes est due essentiellement à « des facteurs particuliers à certains pays arabes, du Golfe plus précisément ». Fin du froid avec le Liban ? « Le gouvernement syrien n'a jamais hésité à participer à toute initiative de nature à renforcer les relations de fraternité entre les Etats arabes et leurs peuples. Il est même en tête de file lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts arabes », défend M. Abdullah. « Ses relations tumultueuses avec notamment le Liban sont, pour lui, dues à l'influence étrangère sur certains courants politiques libanais qui sont à la solde de l'Occident. » Il en veut pour preuve le rétablissement des relations diplomatiques quelques mois seulement après la fin de la vacance du pouvoir au Liban. Mais les ambassades ne seront pas ouvertes tout de suite. La Syrie doit d'abord réexaminer la série d'accords bilatéraux qui encadre sa tutelle sur le Liban. L'établissement de frontières avec le Liban, autre promesse syrienne, ne sera pas achevé en un jour. Au cœur du problème, un petit territoire aux confins des frontières syriennes et libanaises : les fermes de Chebaa, occupées par Israël depuis 1967. Pour l'ONU, ces fermes sont syriennes. Mais la Syrie et le Liban affirment qu'elles sont libanaises. Le problème de ce petit territoire et la présence armée du Hezbollah servent à la Syrie de moyen de pression sur Israël. Tout en maintenant cette pression, la Syrie poursuit ses négociations indirectes avec Israël via la Turquie. Le président Al Assad obtient l'accord de la France d'être présente dans d'éventuelles négociations directes avec Israël. Mais le chef de l'Etat syrien est loin d'être naïf. Il sait que sans les Etats-Unis, rien ne pourra se faire. Il appelle ainsi les Américains à être à côté des Français le jour où ces négociations auraient lieu. « L'objectif de ces négociations indirectes est de mettre en place une plate-forme commune sur la base de laquelle des négociations directes seraient engagées. Cette plate-forme commune tiendra compte de toutes les décisions ayant émané des instances internationales compétentes. Parmi ces décisions, le retour aux frontières de 1967, la reconnaissance de la rencontre de Madrid comme référence », note M. Dakhel Allah, tout en se montrant dubitatif quant à la volonté d'Israël de ramener la paix dans la région. « On constate actuellement que du côté israélien, il n'y a pas une volonté franche de faire régner la paix dans la région et il n'y a pas non plus de gouvernement fort qui veut la paix. Pour que ce cycle réussisse, il faudrait donc que les Etats-Unis, principal allié d'Israël, contribuent au processus de paix. Mais force est de constater aussi que l'administration actuelle ne se soucie nullement de la paix dans la région. » En Syrie, tout le monde est convaincu que les clés sont enfouies sous le pupitre de la Maison-Blanche. Le chemin est donc encore long. Le président Al Assad qui se fixe comme objectif de promouvoir la stabilité au Moyen-Orient devrait profiter de son rapprochement avec Paris pour renouer le contact avec les Etats-Unis. « Les Américains savent qu'il n'y a que les Syriens qui peuvent les sortir du bourbier irakien. Mais l'administration Bush s'obstine à ne pas reprendre langue avec Damas, car le faire est pour elle synonyme de reconnaissance de l'échec de sa politique dans la région, mais aussi qu'elle a perdu la bataille contre la Syrie », affirme un journaliste syrien. Le départ de George W. Bush de la Maison-Blanche (fin de mandat) arrangerait les choses aux yeux de nombreux Syriens. « L'arrivée d'un nouveau Président ne pourrait qu'améliorer la situation dans la région, car il ne peut y avoir de politique plus catastrophique que celle de Bush dans la région. Quelle que soit la future composante de l'Administration américaine, elle ne pourrait être pire que l'actuelle », estime Mahdi Dakhel Allah.