Pour le conférencier, les différentes politiques agricoles menées jusque-là par les pouvoirs publics s'avèrent inefficaces. Des menaces pèsent sur la sécurité alimentaire dans notre pays. C'est ce qu'a expliqué Mourad Boukella, économiste, lors d'une conférence-débat animée à la Fondation Friedrich-Ebert, à Alger, dans la soirée de dimanche dernier. Devant un important parterre de participants et d'invités (Mustapha Mekichèche, consultant, Abderahmane Belayat du FLN, Madjid Yousfi du RCD, un représentant du ministère de l'Agriculture), l'hôte de la fondation allemande a d'emblée posé les termes du débat : “La politique agricole est encore irrésolue dans notre pays, c'est-à-dire qu'elle se présente aujourd'hui comme une épée de Damoclès qui risque d'exposer nos populations à des problèmes de sécurité alimentaire.” L'argument phare sur lequel se fonde le conférencier pour défendre ses dires est le fait que l'économie algérienne est une économie “alimentaire” fortement dépendante des importations. “Il y a une tendance historique au recours systématique à l'importation comme instrument quasi-unique de régulation des filières agroalimentaires principales”, lance-t-il. Voulant mettre en relief l'importance de la facture des importations alimentaires en Algérie, M. Boukella citera quelques chiffres : “Il y a eu 6 milliards de dollars d'importation en 2008 et cette facture sera de l'ordre de 15 milliards de dollars en 2015.” L'autre argument développé par le conférencier concerne les différentes politiques agricoles menées jusque-là par les pouvoirs publics et jugées inefficaces : “Les politiques successives qui ont été menées ont été conçues à chaque fois dans l'urgence pour résoudre des problèmes conjoncturels nés des dysfonctionnements du marché”, note-t-il avant d'enchaîner en affirmant que ces politiques “n'ont jamais pris racine dans le cadre d'une stratégie de long terme, appuyée par une planification rigoureuse des objectifs et des moyens à échéances précises et des évaluations d'étapes objectivement établies”. Même le PNDRA, lancé en 2000, “n'a pas répondu positivement et complètement à la question de la sécurité alimentaire des Algériens à long terme, si l'on en juge par la rigidité persistante de l'offre domestique des produits de base et par l'évolution sans cesse croissante de la facture alimentaire”, notera encore l'intervenant. Aussi et pour expliquer les raisons de cette situation délétère de l'agriculture nationale, le conférencier remonte jusqu'au lendemain de l'indépendance pour pointer un doigt accusateur en direction des pouvoirs publics de l'époque : “Le nouveau pouvoir en gestion en 1962 a pris conscience qu'en prenant le contrôle des ressources pétrolières, il pouvait se passer des performances de l'agriculture pour assurer l'alimentation aux Algériens.” Et d'enchaîner : “Le statut de l'Algérie en tant que pays pétrolier, l'aisance financière en rapport avec l'importance des recettes issues de la vente des hydrocarbures, ont relégué au second plan les préoccupations liées au développement durable, à la production agricole et à la nécessaire stabilisation de la paysannerie en tant que classe sociale.” Comment venir à bout de cette situation qui risque d'être préjudiciable à la sécurité alimentaire de notre pays ? À cette question, l'orateur exhortera dans un premier temps les participants de mettre fin à une idée reçue : “Contrairement à une idée reçue, la sécurité alimentaire, c'est-à-dire une situation où toute personne peut accéder durablement à une alimentation adéquate lui permettant de mener une vie productive et en bonne santé, dont toutes formes de malnutrition et de sous nutrition, ne dépend ni exclusivement ni principalement de l'agriculture et des politiques agricoles. Elle est avant tout une affaire de niveau de développement économique général, de pouvoir d'achat moyen des populations, de capacité de l'entière économie à créer des emplois productifs suffisants et durables et de diversification de l'appareil productif.” De plus, l'Algérie n'est pas un pays à vocation agricole note le conférencier : seulement 3% du territoire algérien est propre à l'agriculture, soit huit millions d'hectares. “À ce sujet, si elle n'en n'est pas le moteur, l'agriculture constitue tout de même la base de tout projet de sécurité alimentaire durable”, dira M. Boukella. L'amélioration de la productivité agricole et le relèvement du revenu des populations agricoles rurales sont un élément déterminant pour la sécurité alimentaire individuelle et collective, dira l'intervenant tout en recommandant aux pouvoirs publics de prendre au sérieux cette question. Et de préciser à ce propos que “les politiques agricoles peuvent contribuer à la concrétisation d'un tel projet ou, au contraire, aggraver la dépendance alimentaire”. Dans le même ordre d'idées, le Pr Boukella revendiquera une réinsertion de l'Algérie dans le marché agroalimentaire mondial, tout en expliquant que la signature de l'accord d'association avec l'OMC et la future adhésion de l'Algérie à l'OMC “constituent des opportunités pour revoir nos politiques et lancer des partenariats avec les étrangers”. NADIA MELLAL BOUALI