Dans la plupart des quartiers populaires, les murs des immeubles, les devantures de certains commerces et même certains pans des établissements pédagogiques sont gribouillés de dessins incongrus. A l'image de l'émeute et des mouvements de contestation, les graffiti et les écrits obscènes qui meublent les frontons et les façades de nombreux immeubles sont une forme d'expression sourde, pacifique certes, mais charriant des messages lourds de sens. A Mila, comme partout ailleurs, le phénomène fait tache d'huile. Il n'est nul besoin de sortir des prestigieuses écoles pour décrypter, à travers ces messages haineux, menaçants et parfois orduriers, une marque d'exclusion et de rejet du milieu sociétal et de toute vie communautaire. Mettre ces incongrus agissements sur le seul compte de voyous écervelés, de loubards rongés par le désoeuvrement ou d'adolescents dont la jeunesse est mal épanouie serait se fourvoyer grossièrement sur la signification profonde de ces écrits désobligeants, factieux et subversifs. Dans l'une des grandes daïras de la wilaya de Mila, sur la large devanture d'un bâtiment, l'on peut lire une saisissante inscription qui veut dire à peu près ceci : « Pourquoi avoir peur, puisque la mort existe ? » Quelles seraient alors la nature et l'émanation de cette peur que suggère cette pensée sibylline et ô combien séditieuse ? En réalité, il n'y a aucun doute sur l'allusion que véhicule cette inscription énigmatique : les jeunes et les laissés-pour-compte, laminés par le chômage, le désespoir et l'absence de perspectives, où qu'ils soient dans l'Algérie profonde comme dans les grandes métropoles du pays, sont en rupture de ban avec la société, banalisés et jetés aux oubliettes. Si bien que cet état d'ostracisme et cet isolement asphyxiant, dans lequel ils végètent injustement à vue et qu'on leur impose, sont devenus si étouffants et si insupportables qu'ils ont fait naître chez cette jeunesse oubliée un désir incompressible de s'exprimer, de faire valoir leurs préoccupations, leur desiderata et leurs nombreuses demandes biaisées, de dire d'une façon ou d'une autre qu'on est là, qu'on existe et qu'on a droit à l'emploi, au logement, à jouir des richesses du pays. Bref, à être intégré comme élément constructeur dans la société et participer à son édification et son développement. En vogue dans les cités-dortoirs Le syndrome des inscriptions choquantes, a-t-on constaté, est plus présent dans les grands ensembles et les cités-dortoirs que dans les agglomérations du monde rural où la moralité et le conservatisme sont de mise. En effet, dans la plupart des quartiers populaires, les murs des immeubles, les devantures de certains commerces et même quelques pans des établissements pédagogiques sont gribouillés de dessins et de signes incongrus, en passant par des griffonnages et des écrits tout aussi incommodants que vils et indécents. Il est vrai que le ras-le-bol et la haine envers autrui sont saisissants et clairs comme de l'eau de roche à travers les croix gammées, les têtes de morts et les messages racistes et xénophobes que l'on appose un peu partout. En clair, le « pourquoi avoir peur puisque la mort existe ? » peut bien insinuer des idées dangereuses, diaboliques et criminelles, comme tuer pour survivre, voler son prochain ou se laisser entraîner dans les abysses infernales de la criminalité et de la toxicomanie. En tout état de cause, la problématique interpelle une profonde réflexion.