La philosophie ? Eh bien, se faisait-on répondre par certains esprits sclérosés, c'est une discipline qui embrouille l'esprit et l'éloigne du bon sens ! Selon cette terrible sentence, il n'est pas question pour l'homme d'honorer son humanité, celle qui fait de lui une créature portée sur le désir de polémiquer, de faire travailler son cerveau, si tant est que le cerveau est le lieu où se fait la réflexion. Or, on le voit bien à travers l'histoire de la pensée : c'est la nature première de l'homme qui a toujours eu le dessus. Certes oui, le combat entre le bien et le mal a parfois été fracassant —et continuera certainement à l'être —, ou encore inégal. De ce combat entre l'amour et la haine, il ressort en effet que la dualité demeure intrinsèque, en toute chose, dans l'ici-bas. Dès lors, quoi de plus logique que le monde de la réflexion constitue à l'homme et à son semblable un point de friction et lui serve de champ de bataille par excellence. Ainsi donc, le naturaliste français Georges-Louis Buffon (1707-1788), ne pouvait être éloigné d'Ibn Rochd (1126-1198), Avicenne pour les Occidentaux, dans la mesure où leurs efforts intellectuels se ressemblaient à s'y méprendre, et ce, en dépit de l'appartenance de chacun d'eux à des époques et à des lieux bien distincts et surtout à des religions différentes l'une de l'autre. Buffon qui aimait tant « faire choquer les mots les uns contre les autres », se plaisait, encore à écrire à propos de l'une de ses interprétations des premiers versets de la Genèse : « Je l'ai faite dans la vue d'opérer un grand bien : ce serait de concilier à jamais la science de la nature avec celle de la théologie ». Ainsi, malgré tout ce qui pouvait les séparer, les deux étaient surtout portés sur les concepts d'ordre et de mouvement, comme s'ils avaient été à la même école, celle qui privilégie la raison pour conforter les vérités métaphysiques. Ibn Rochd ne disait-il pas que « la vérité ne peut contredire la vérité » ? C'est sur cet itinéraire philosophique, très ardu à coup sûr, que l'on rencontre, tout à la fois, Aristote, René Descartes, Al Kindi, Ibn Sina et autres penseurs dont la réflexion s'est portée essentiellement sur la vérité de l'homme en tant que pivot central de tout ce qui existe. Et, sur ce même itinéraire justement, il est fort probable que les idées qui frappent par leur originalité continueront de prendre naissance jusqu'à la fin des temps. En somme, il s'agit d'un combat récurrent, et pour cause, puisque le problème de « l'ordre et du mouvement » qui triture inévitablement l'esprit de tout homme de raison, n'est pas près d'être fixé et résolu définitivement. S'ils vivaient aujourd'hui, Ibn Rochd et Buffon, pour garder ces deux exemples, auraient certainement à affronter de nos jours les mêmes questions relatives à la conciliation de la religion et de la raison. Les penseurs de leur trempe continueront à philosopher de la même manière, non pas parce que cela est inscrit quelque part dans leurs codes génétiques, mais parce que le monde exogène leur dicterait forcément de s'acquitter d'une tâche philosophique qui devrait être l'apanage de tout être humain, entendez la relation avec l'Eternel.