En ce vendredi brumeux, la ville apprendra, avec stupeur, la disparition de Sid Ahmed Hadjar, sans doute le plus méritant d'entre nous. La terrible maladie qui vient de le ravir à notre affection ne lui aura laissé aucun répit. Depuis près de 4 ans, il luttait de toutes ses forces contre sa maladie. Combien de fois n'avions-nous pas apprécié ce qui s'apparentait à un réel exploit, lorsque, après deux opérations et plusieurs séances de chimiothérapie, on lui retrouvait ce regard si vif et si amical, derrière lequel il parvenait toujours à nous bluffer. Car, jamais de son vivant, SAH n'avait failli ni devant l'adversité ni devant les coups bas encore moins devant la peur qui, durant la décennie noire, avait envahi la cité et vidé la corporation de ses serviteurs. Lui, imperturbable, continuait à narguer notre couardise et les interdits pour dire la vérité. Tantôt par des articles parfaitement documentés, tantôt par son célèbre « Cartes sur Tables », un billet quotidien qu'il publiait dans un journal régional. Le professeur de français, qui accomplissait avec sacerdoce son enseignement, se transformait le soir en journaliste rigoureux et affable. Son amour du patrimoine immatériel et son attachement viscéral à la culture dans son acception la plus large en faisaient un fervent défenseur des artistes et des intellectuels. En pleine bataille contre son mal pernicieux, entre deux séances de « chimio » à Oran, Sid Ahmed avait pris le temps de créer une association pour enseigner et perpétuer la pratique musicale chez les enfants. Aidé de son compère Neffoussi, médecin de son état, il donnera un tonus infernal à l'association « Mesk El Ghanaïm ». S'appuyant sur la disponibilité de Mostefa Abderrahmane, ils produiront tous deux, entre 1995 et 1998, sans aucun moyen que leur volonté, une revue, « Salamand'Art » qu'ils tiraient à plus de 1000 exemplaires. Distribuée gratuitement, elle faisait la part belle à la culture, au théâtre et au cinéma. Très en verve, les deux compères enverront une copie à l'UNESCO à Paris. Ils reçurent en retour un livre sur le cinéma africain, publié par l'organisation internationale. Lorsque « Le Matin » sera fermé, c'est au « Soir d'Algérie » que SAH se retrouvera. Animant avec abnégation la page culturelle où il excellait, il en fera un lieu de thérapie. Car aux plus sombres moments de sa maladie, il cherchait encore quelque force pour ne pas faillir à son devoir de mémoire. Le mal prenant le dessus, Sid Ahmed abandonnera le micro et se mettra à la plume. Ses papiers se feront de plus en plus denses et de plus en plus nombreux. Ce qui étonnera sa rédaction et ses visiteurs qui, en voyant son état, ne pouvaient que se faire une idée de l'effort consenti à rédiger des papiers immortels. C'était chez lui la seule réponse que le mal incandescent qui le brûlait ne pouvait comprendre. Jusqu'à l'ultime instant, lorsque ses dernières forces furent épuisées, il rangea résolument son stylo sous l'oreiller puis s'endormit pour toujours. Cet enfant du verbe et de la plume laisse derrière lui une famille éplorée, des amis décontenancés, un lectorat et des auditeurs abattus. Jusqu'à l'ultime souffle, Sid Ahmed n'avait qu'un seul souci : répandre la bonne humeur et la générosité. Force est de reconnaître qu'il n'a jamais failli. Son départ est un déchirement pour nous tous qui l'avons connu et apprécié à sa juste valeur. Dans cette tribu accablée, nous sommes plus nombreux que la haine, plus forts que la douleur, plus vigoureux que l'avilissement, plus hardis que la traîtrise, plus fidèles que le renoncement, plus obstinés que la résignation. Preuve que la leçon du maître a été bien assimilée. Quel bel hommage !