La pratique poétique en Algérie est plus répandue qu'elle ne paraît. Un libraire-éditeur a décidé de la faire connaître. Qui ne succombe pas à la poésie ? Elle touche les cœurs et pénètre les âmes. Lorsqu'on craint pour sa liberté, lorsqu'on doute ou l'on désespère, elle devient alors le refuge de l'intelligence émotive, de la vulnérabilité et de la sensibilité romantique. Lorsque l'homme s'alarme, il en appelle à l'art et à la poésie, esprit de bon sens, supérieur à la rhétorique de Platon, à la rigueur de Newton ou d'El Khawarizmi et à la sociologie d'Ibn Khaldoun. On a vu Kateb Yacine, Poète comme un boxeur, convaincu de réalisme, entamer son chemin contestataire par Soliloques pour finir Sous les cris des coqs, en alertant les peuples. On a lu Villon, le proscrit dolent, Baudelaire insatisfait, Rimbaud, Khayyâm et Sebti, révoltés dans leur poésie faite de remords, de rébellion et de souffrance. Chez Djamal Amrani, il y a l'équilibre naturel entre ce qu'il écrivait et ce qu'il était. Rabah Belamri qui s'accrochait au concret et au quotidien dans « la lumière qu'il ne percevait plus mais qu'il ressentait davantage ». Abdelatif Benchehida, dans son Arabiade, poèmes ciselés en alexandrin romantiques, Noureddine Aba dans sa poésie dramatique, Nadia Guendouz généreuse, à la plume maquisarde, l'amie de la cité Barnave des années 1970. A tous les poètes, à la fois humbles et élevés, nous devons des instants de bonheur et une éternité de reconnaissance. Je croyais la poésie perdue et les cœurs et les âmes en berne lorsque, chinant au hasard des librairies, je découvre le recueil de poésie de trois dames dans Le Parfait du… Subjectif. Signé par Yza Kalim, Samia Bensemane et Aldja Seghir, il m'a accaparé presque une nuit. J'y ai trouvé des moments de bonheur que l'on pourrait résumer en quelques mots qui feront peut-être sourire les incrédules : nostalgie, rêve, colère, idéal, nature. C'est cela que déclament nos trois poétesses aux textes souvent allégoriques, parfois réalistes, et toujours sincères où l'on devine une riche expérience, toute d'humanité et d'humilité. En criant leurs sentiments, elles s'évertuent à maintenir l'espoir vivant. Elles réinventent la tendresse à nous rapprocher d'un père perdu, d'un amant soutenu ou d'un ami fidèle. Elles font de leur plume des paraphes de reconnaissance qui permettent au lecteur l'estime de soi. Nos trois poétesses n'ont pas abattu des troncs pour nuire aux arbres, mais de leur plume, elles ont dégagé les espoirs de nos forêts : « Et quand tout est calciné / Que peut-on contre la brûlure ?... ». La première partie est signée par Yza Kalim —joli nom, sans doute pseudonyme. L'œuvre est présentée dans une mise en page qui s'imbrique à l'ordre cosmologique de ses tribulations. Dans une riche et méticuleuse composition, se succèdent, en treize séquences, divers thèmes toujours chers aux poètes : les déserts et les méandres de l'âme, le destin, les regrets, la tristesse et les désespérances, les chants de mort et la nature. Ainsi, on lit, en passant d'un poème à l'autre : « J'ai bu une gorgée de toi/ A l'oasis de ton âme/ Après ma longue traversée ». Il est difficile de deviner la forme d'un épi en partant d'un grain de blé, comme il est réducteur de comprendre un poète sur un seul de ses poèmes. Avec Samia Bensemane, toute la poésie tient dans un seul bouquet : « On peine dans sa chair, dans son sang et dans son cœur. » Avec les mots de tous les jours, elle invente la fantaisie sur des chemins buissonniers qui évitent les dogmatismes et le langage univoque : « Ma petite fille/ Koum Tara/ Tara Lala/ Tu es Tara Yellen ». On se promène dans sa vie, elle nous associe dans ses vagabondages, dans ses réflexions existentielles. Dans la troisième partie, Aldja Séghir dédie son œuvre « à la mémoire de Samia » une amie disparue. Elle lui parlera comme un gibier qui fuit son destin en s'engouffrant dans les ronces. Dans les textes, on découvre une orchestration nouvelle, linéaire, où les fils et les couleurs s'entrecroisent entre vers et prose, entre l'Etre et le Ciel et, sans regret, elle aurait aimé parler de tout ce qui fait la beauté de ce monde amputé. Toute sa vie, Aldja va attendre le vent en brodant la toile ! Le Parfait…du Subjectif ! », de Yza Kalim, Samia Bensemane et Aldja Seghir. Editions Mille-Feuilles, collection Souffles. Alger, 2008