Bouira, ville coquette de son temps, semble bien garder ses habitudes « bourgeoises » pour ne s'occuper à présent que de l'embellissement. « Le maquillage ! », s'amusent à dire les narquois du vieux Bordj Hamza. Les autorités locales, affublées de tous les quolibets fantaisistes galvaudés par la vox populi, arrivent, semble-t-il, à peine à redresser la barre et donner par là une image hideuse d'une gestion qui s'attelle à maquiller les cicatrices béantes au lieu de trouver le moyen idoine pour s'en débarrasser. Selon les habitants de la ville, les responsables ne s'occupent, comme par manie de cacher le mal, que de l'embellissement des façades et des grandes artères, oubliant étrangement, qu'à un jet de pierre de l'hôtel de Ville-même, des dizaines de familles vivent dans les conditions les plus déplorables, voire primitives. « Des conditions inhumaines ! », s'exclame un quinquagénaire rencontré au hasard d'une journée pluvieuse, et qui s'inquiète visiblement pour d'éventuels dégâts qui peuvent être engendrés par une pluviométrie annoncée généreuse pour le week-end, via un bulletin de l'ONM (Office national de la météorologie). C'est la dégradation absolue du vieux bâti ; un mal que vit encore l'ancienne ville de Bouira. Cela dure ainsi depuis plus de 60 ans pour la plupart d'entre les bâtisses qui font le tissu urbain de cette ville. A la cité des 70 Logements, sise en face de la gare ferroviaire, les 7 familles qui avaient construit des gourbis en tôle et autres matériaux hétéroclites pour élire domicile, l'on ne cache pas sa peur bleue à chaque annonce de précipitations de pluie. Les services de l'APC ont procédé à leur recensement à plusieurs reprises, affirme-t-on. Des promesses quant à leur recasement dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire, au même titre que les habitants de la cité Gouizi Saïd (recasés l'été dernier après de longues années d'attente), leur ont été faites par les responsables locaux et notamment les élus, et depuis, aucun n'est revenu. « On ne se soucie plus de notre calvaire et celui de nos enfants », clament non sans dépit les occupants de ces baraques de fortune. A quelques mètres de la place principale de la ville, les 14 familles vivant à Haouche Meziane Youcef, depuis la guerre de libération, la situation n'est pas tout à fait différente que par ailleurs. Les familles Belkacem, Chergui et Ferrad, entassées à plus de 6 membres par famille dans une pièce-cuisine, sans sanitaires ni eau potable, nous apprennent que depuis plus de 20 ans, tous les responsables qui se sont succédé, que ce soit à la tête de l'APC ou de la wilaya, dont l'ex-wali M. Djillali Arrar en 1997, leur ont promis qu'ils seront recasés dans des logements décents sous quinzaine, et depuis personne ne s'est rappelé de leur existence même. Les oubliés de l'Algérie Que du vent ! A quelques pas en aval, un autre lieu où s'entassent 22 familles dans des gourbis, se partagent le Haouche Aziz, sis rue Larbi Ben M'hidi. Une fois arrivés à l'intérieur du bidonville, on découvre, à notre grand étonnement, et ce n'est pas du théâtre à la Fellaguienne, que les occupants se succèdent à tour de rôle sur leurs lits de fortune par manque d'espace. Les familles, Chihati, Khemoud, Benyakoub et leurs colocataires vivent en permanence sous la menace de l'effondrement d'un mur mitoyen qui s'ajoute au risque d'électrocution prévisible à cause des raccordements anarchiques au réseau d'électricité. Par ici, on ne parle pas de maladies à transmission hydrique dès lors que les habitants semblent bien s'accommoder avec les odeurs nauséabondes et les eaux usées coulant à même la chaussée et dues au manque d'assainissement. Là aussi, on apprendra par la voix des habitants, qu'à chaque fois qu'ils tentent de se rapprocher des services de l'APC pour faire valoir leurs revendications, ils se trouvent orientés vers le cabinet du wali. Un ultime recours dont on use et abuse, à en croire les déclaration des concernés qui affirment que même à ce niveau, les palabres débouchent sur le même résultat, au demeurant, vérifiable sur le terrain. Par un pic de désespoir, les habitants de ces haouches semblent s'entendre à dire que « maintenant nous sommes sûrs que nous ne serons touchés ni par le programme quinquennal ni par aucun autre programme ». « Nous sommes les oubliés de l'Algérie de l'aïzza oua el karama (honneur et dignité) », allusion faite par une mère de famille dont le mari est un malade mental, au fameux programme d'un million de logements de Bouteflika. Au Haouche Chekroun, un autre lieu lugubre qui abrite pas moins de 15 familles, Arezki Zerrouki, l'aîné de 5 frères et fils de chahid, nous apprendra que sa famille habite ce lieu depuis 1956. Un déménagement intervenu après le bombardement de son village natal par l'armée française. Il témoignera : « Nous n'avons reçu aucune indemnité et nous n'avions pas, par ce fait, pu reconstruire notre maison au village. L'Algérie indépendante a ignoré nos souffrances ! Pourtant, nous avons tout donné pour cette nation, mais hélas, personne de ceux qui nous gouvernent n'accède à notre vœu inexaucé de vivre dans la décence ». A Haouche Abdelaziz, situé en plein cœur de la ville de Bouira, le fils du propriétaire qui habite, lui aussi les lieux avec plus d'une dizaine d'autres familles, s'interposa entre nous et ses locataires. Ce dernier accuse ses hôtes d'avoir déjà bénéficié de logements et qu'ils refusent à présent de quitter les lieux. Il ne s'est pas pour autant abstenu de relater ses déboires avec l'administration qui, selon lui, tente de lui exproprier ses biens. Contacté pour plus d'informations concernant ce problème qui ternit l'image du chef-lieu de la wilaya, le maire de Bouira, Larbi Mohamed, nous dira que pour ne pas tomber dans le même piège que celui qui a coûté à la collectivité 1,5 milliard de centimes, au profit d'un propriétaire d'un Haouche, qui a engagé une procédure judiciaire contre l'APC, après la récupération de son bien, l'assemblée se tient d'appliquer la loi et ne pas céder. Pour ce qui est du recasement des familles, l'édile municipal nous apprend que leurs dossiers seront étudiés au cas par cas, pour éviter de commettre des injustices, et par là débusquer certaines familles qui avaient déjà bénéficié de logements et/ou de terrains. Sur un autre volet, notre interlocuteur dira : « Nous allons essayer de trouver un compromis avec les propriétaires des haouches afin de régler ce problème de bidonvilles qui nous empoisonne l'existence ; soit par la réhabilitation des cités par ces derniers, soit par une autre formule qui arrangera toutes les parties concernées », et d'ajouter que « pour certains haouches, le problème sera réglé prochainement avec l'aménagement du grand boulevard qui va du carrefour de Haïzer au pont Sayah. Quant au cas des 7 familles habitant les 70 Logements, leur expulsion est imminente et sans condition ». D'autre part, notre interlocuteur nous fera savoir que dans le cadre de la lutte contre les constructions illicites qui se transforment en bidonvilles, 258 constructions illicites ont été démolies. En attendant l'éradication de ces bidonvilles qui sont la plaie béante de cette ville centenaire, les habitants des lieux continuent à se disputer les gîtes avec les rats et autres bestioles qui menacent leur santé.