L'assassinat d'un enseignant par son propre élève n'est pas une dérive, c'est la conséquence d'un long processus dont la mort tragique n'est malheureusement pas que l'aboutissement ; elle en est la radicalisation. Pour s'en convaincre, il suffit de se rendre sur le Net et de lire la haine et l'appel au crime. Entre ceux qui justifient la mort et ceux qui appellent à sa généralisation, il y a ceux qui, déjà, désignent la prochaine cible. Le mal est si profond qu'il en devient atavique. Ce lynchage sur la Toile ne doit pas être pris à la légère. Un criminel annonce toujours la couleur, seuls les aveugles ne voient rien venir. Car le pourrissement actuel de l'université n'a rien de spontané. A ce titre, il faudra compter avec son expansion à l'avenir. Les appels au crime qui circulent sur la Toile ne doivent pas être balayés d'un simple clic. Car lorsque l'on se permet de violer la sainte règle du respect dû aux morts et que l'on met sur la scène publique des accusations qui tendraient à justifier l'assassinat, c'est que la situation est mûre pour d'autres crimes. Quand, lors des funérailles de Mohamed Benchehida, le ministre de l'Enseignement supérieur affirme vouloir appliquer la loi dans toute sa rigueur, on est tenté de lui demander de quelle loi il parle. Après les partis islamistes qui, les premiers, ont compris l'avantage qu'il y avait à infiltrer la communauté estudiantine nationale, les partis nationalistes, voire modernistes, ont suivi le mouvement. Les organisations satellites se mirent alors à foisonner au point d'encombrer les campus de groupuscules plus ou moins importants, recrutant, parmi les nouveaux bacheliers, les troupes qui viendront renforcer leurs rangs. Dans toutes les enceintes universitaires, les organisations estudiantines disposent de structures et de passe-droits auxquels le plus chevronné des professeurs ne peut rêver. De véritables PME y fructifient un commerce florissant. N'ayant ni factures d'eau, de gaz ou d'électricité à régler, n'étant soumis à aucun bail de location, ces PME amassent des fortunes. Les capacités de mobilisation et de nuisance sont telles qu'aucun responsable ne peut leur résister. Pour le moindre bobo, ce sont les amphis qui sont vidés, les bureaux qui sont fermés et les responsables qui craignent pour leur poste. De leur côté, les enseignants ne sont pas en reste. Depuis cet assassinat, les langues se délient pour dénoncer la mainmise de certains universitaires sur le devenir des étudiants. Les jeunes filles sont, dit-on, soumises à un harcèlement sexuel de grande envergure ; les meilleures notes seraient attribuées sur canapé. A la bourse des magisters, certaines places seraient monnayées jusqu'à 10 millions de centimes. La haine qui s'installe a certainement de beaux jours devant elle. Ce ne sont pas les paroles apaisantes du ministre ni le discours totalement décalé de Bouteflika à Tlemcen qui ramèneront l'ordre et la sérénité dans les campus d'Algérie. Le scélérat décret instituant les vacations devrait être rapidement abrogé. On mettrait fin à une pratique des plus préjudiciables où l'enseignant devient esclave de cette carotte, au point où certains alignent sans vergogne une charge horaire hebdomadaire que leur envieraient les mineurs chinois. Tout juste trois jours après les funérailles de Mohamed Benchehida, la communauté estudiantine commence à prendre conscience de la dérive qui a poussé l'un des siens à commettre l'irréparable. Cet étudiant, que l'on décrit comme étant brillant, aura semé le trouble parmi ses camarades et sa famille. Ces derniers savent la gravité de son acte tout en cherchant non pas à le disculper, mais à comprendre pourquoi il en est arrivé là. Des délégués complètement abattus craignent que cet assassinat n'entraîne un durcissement chez les responsables et les enseignants. Le dialogue fait cruellement défaut. Entre les deux communautés, le cadavre criblé de 37 coups de couteau et vidé de son sang de leur collègue a creusé un énorme fossé que personne ne se hasarde à combler. Alors que des fetwa incendiaires continuent à être promulguées sur le net, faudra-t-il attendre la fin de l'enquête pour engager les composantes de l'université à ouvrir un dialogue responsable ? Le silence qui persiste est en train de nourrir une haine qui risque d'entraîner les campus vers un affrontement dramatique. Convaincus de leur bon droit, des étudiants craignent l'issue fatale. Des rancœurs longtemps contenues pourraient d'un moment à l'autre surgir et se transformer en une déferlante qui embraserait les facultés. Pour ce délégué, des décisions radicales doivent être prises pour ramener le calme dans les esprits. Il est impératif que la confiance revienne. Car tout le monde a pris définitivement conscience qu'après l'acte injustifiable ayant entraîné la mort violente d'un professeur, l'université algérienne n'a qu'une seule alternative : rompre avec le copinage, le laxisme et le népotisme et s'engager dans un processus de démocratisation seul à même d'ouvrir des perspectives vers un dialogue permanent et responsable. Il y a réellement péril en la demeure. Nous sommes assis sur un volcan, nous dit un représentant des étudiants. A tel point que nombre d'enseignants se demandent comment ils pourraient rejoindre les amphis et reprendre les cours comme si de rien n'était. Un autre parle de la nécessité d'une psychanalyse afin d'exorciser le mal profond qui nous ronge.