Le chanteur français Gilbert Lafaille a atterri, jeudi dernier, au Théâtre régional Abdelkader Alloula pour présenter ses « trente ans de chansons », une tournée qui célèbre 30 ans de carrière d'un artiste atypique qui, tout en excellant dans l'art de manier le verbe, sait aussi gratifier son public de comédies dignes des grands acteurs. Il aurait aimé n'avoir que 30 ans d'âge, devait-il ironiser à l'entame de son spectacle en compagnie de Nathalie Fortin (excellent accompagnement au piano), mais avec toute son expérience, il n'a en fait que constater qu'il s'est rendu à l'évidence que « ça ne tient qu'à un fil ». Une première chanson pour mettre le public dans le bain et annoncer la couleur, mais les thèmes qu'il développe, tant musicalement que textuellement, s'étalent sur plusieurs registres. Le public mettra d'ailleurs un peu de temps avant de se mettre au diapason, le temps de digérer une prestation qui se soucie autant de faits de société que de préoccupations intimistes, parfois à la limite de l'absurde (comme dans la Ballade des pendules). « Il y a près de dix ans, j'ai écrit une chanson pour décrier un peu la situation qui prévalait à l'époque par rapport à ce que je considérais être l'horreur économique et je me rends compte aujourd'hui que ce que j'ai dit reste toujours d'actualité. » La chanson s'appelle C'est la faute à personne. C'est peut-être un hasard du calendrier, mais le spectacle de jeudi, prévu par le Centre culturel français, a été offert par la Chambre française de commerce en Algérie. Dans cette loi du marché où tous les coups sont permis, dénoncés par l'artiste, il est souvent question de délocalisation et de spéculation et donc de tous les maux de l'ultralibéralisme qui reviennent aujourd'hui avec force et fracas. La société de consommation est caricaturée dans Bigoudis par douze et où le chanteur a réussi l'exploit d'être inspiré par un supermarché. Sur un tout autre registre, comme peut-être pour Entre les murs, le livre de François Bégaudeau, puis le film de Laurent Cantet auquel a contribué le premier, ancien enseignant, l'expérience dans l'enseignement du chanteur l'a sans doute conduit à avoir un regard particulier sur le monde des enfants. En parlant Des raisins dorés, il explique : « Cette chanson, je l'ai faite alors que je venais juste d'avoir un enfant, et comme tout le monde, j'ai ressenti une certaine angoisse liée à cette interrogation : ‘'dans quel monde vais-je mettre mon enfant'' ? » Un passage de la chanson se soucie de l'environnement et d'un monde qui fait « Que tu vois de tes yeux / Des galets merveilleux jouer dans la lumière / Des ruisseaux de diamant / Et des saumons d'argent remonter les rivières ».