Quémandez le savoir, fût-ce en Chine », recommande un hadith du Prophète. Notre ami Malek Bensmaïl a signé un formidable documentaire sur le quotidien d'une école des fins fonds des Aurès intitulé La Chine est encore loin. On pourrait dire, dans le même esprit (et avec presque le même dépit) : « L'Amérique est encore loin. » D'ailleurs, il ne viendrait à l'idée de personne de risquer un quelconque parallèle entre une élection présidentielle remportée brillamment par un Noir et une élection DZ dont le vainqueur est connu d'avance, à la faveur d'une énième mascarade électorale qui n'émeut plus personne. Un homme qui, non content d'avoir consommé deux mandats en pure perte, tripatouille la Constitution (en attendant les urnes) pour se tailler un trône sur mesure. A ce niveau déjà de la comparaison, l'exercice donne le vertige. Si l'on devait nous fier aux critères d'éligibilité ayant cours sous nos cieux, Obama n'aurait aucune chance, lui qui est lesté de quatre handicaps : il est jeune, il est beau, il est brillant et il est de gauche. Le plus fâcheux dans l'histoire est qu'il n'est pas coopté par « el jemaâ », la clique des généraux-décideurs, et il n'a pas le quitus du DRS. Qu'on imagine un Obama algérien, appelons-le M'barek Robbama, caressant le rêve fou de se présenter à la prochaine élection présidentielle. M'barek est jeune, sexy, ambitieux et bardé de diplômes. Il vient du bas et il n'est porté par aucun clan ou coterie de la zaouïa des « Beni Système ». Un « roturier » sans pedigree en somme, selon nos barons, qui ne doit son ascension sociale qu'à son intelligence et à sa compétence. Inutile de gloser sur les chances de M'barek de monter un jour les marches du palais d'El Mouradia. Il se casserait les dents aux primaires de la dernière kasma. A quoi donc sert-il de s'épuiser en de vaines comparaisons, diriez-vous à juste raison ? Il faut croire que méditer le triomphe de Barack Obama n'est pas dénué de toute vertu. Avec un petit effort, cela pourrait même nous inspirer et à plus d'un titre. La leçon de l'élection présidentielle US est sans doute à chercher dans l'effet Obama lui-même, autrement dit « l'effet psychologique » induit par ce saut fulgurant dans le temps et que résume parfaitement sa devise de campagne, « change we can », le changement est possible. Ne rêvons pas de voir un démocrate à El Mouradia de sitôt. Mais nous pouvons déjà nous entraîner à imaginer que tout n'est pas perdu, que les gens qui nous gouvernent ne sont pas une fatalité et qu'à défaut de porter à la magistrature suprême M'barek Robbama, nous pouvons commencer par faire en sorte qu'on ne laisse pas toute notre dignité dans ces pantalonnades à répétition en rendant au pouvoir ses urnes et ses commissions de surveillance des « électeurs » et en boycottant massivement toutes les élections type « troisième mandat ». Cela aura même le mérite de nous faire des économies en nous évitant de faramineuses dépenses budgétaires en logistique et en listes électorales qui ne servent qu'à entretenir la comédie de l'alternance. L'on pourrait ainsi œuvrer à isoler le régime dans ses isoloirs jusqu'à son pourrissement, avant de renouer avec l'action politique positive le jour où le pouvoir en place se décidera enfin à négocier avec la société et qu'il se résoudra à la respecter au lieu de la traiter comme une péripatéticienne. D'aucuns disaient hier : « Désormais, c'est Obama mon président. » Ce n'est pas tant pour souligner le statut hégémonique de la Maison-Blanche en tant que « gouvernement du monde » mais pour saluer la victoire d'un homme qui vient de très loin et qui est arrivé très haut. Mais l'on aurait tort de croire qu'Obama a fait le chemin tout seul. Une lame de fond l'a porté. Un combat de haute lutte, d'Abraham Lincoln à Bob Marley. « Demandez la démocratie même en Amérique », eût pu dire le Prophète s'il avait connu Obama. Tocqueville en sait quelque chose. Mais Chicago est encore loin. Très loin. Et M'barek est seul. Très seul…