Durant le Sila 2008, qui s'est achevé jeudi 6 novembre, presque 200 ouvrages ont été interdits sur ordre non écrit d'une double commission de censure dirigée par les ministères des Affaires religieuses et de la Culture. Jean Richard, directeur des éditions En bas de Lausanne et représentant de l'Association des éditeurs, des libraires et des diffuseurs de Suisse romande (ASDEL), confirme la nouvelle. « Nous allons peut-être décider de ne pas venir l'année prochaine. Il y a une discussion profonde menée au sein de notre association. Des éditions françaises, comme La Découverte, L'Atelier, Le Seuil, qui ont été frappées par la censure, réfléchissent à la même chose. Idem pour les éditeurs sans frontières de la région PACA (France) », précise-t-il. Selon lui, la commission de censure a saisi deux ouvrages édités par Pierre-Marcel Favre. Il s'agit de Le livre noir des nouvelles persécutions anti-chrétiennes de Thomas Grimaux et L'Antisémitisme en littérature d'Emmanuel Heymann. « Un ouvrage a été séquestré et un autre a été interdit d'exposition aux rayons. Je ne sais pas s'ils ont le droit de séquestrer des ouvrages et de les garder. C'est un flou artistique », se plaint-il. Les censeurs n'ont donné aucune explication à cette interdiction. Pierre-Marcel Favre est le fondateur du Salon du livre et de la presse de Genève, lancé en 1987. En 2007, il avait invité l'Algérie à cette manifestation. Il a soutenu à sa manière l'indépendance de l'Algérie après avoir découvert, lors d'un voyage, les réalités amères du colonialisme à l'âge de 17 ans. En 2008, l'Algérie lui a bien rendu la politesse ! Jean-Richard qualifie la censure « d'inadmissible à l'époque moderne ». Pire, les livres des éditions En Bas ne sont jamais arrivés sur les stands. « Ils ont été perdus entre Lausanne et Alger. C'est un problème lié probablement aux transporteurs. Ce n'est pas une question de saisie. C'est une perte. Je suis donc venu sans mes livres », regrette Jean-Richard. Les éditeurs libanais et égyptiens, qui ont subi aussi des interdictions sournoises, ont fait circuler un document pour obtenir le consensus d'un boycott de la future édition du Sila. Nacéra Belloula, qui vient de publier un roman Visa pour la haine aux éditions Alpha, estime qu'il est ridicule de censurer des livres. « Quels sont les critères sur lesquels on décide d'interdire des livres ? C'est tout de même curieux d'inviter un auteur au Salon et de lui dire que son livre ne peut pas être exposé ! », dit-elle. L'islamologue tunisien, Youssef Seddik, a été invité à animer un café littéraire au Sila 2008 sans son essai Qui sont les barbares ? L'avant-dernier roman de Salim Bachi, Tuez les tous, a été traduit en arabe en 2007 dans le cadre de Alger, capitale de la culture arabe, avec l'aval du ministère de la Culture avant d'être censuré au Sila 2008 ! Parlant de son roman écrit après les attentats du 11 septembre 2001, Nacéra Belloula explique que c'est l'histoire d'une initiation d'une adolescente au terrorisme. « Elle va grandir juste avant le début du terrorisme en Algérie. Elle va être portée par la vague qu'on a connue. Elle va être au centre de l'action et faire les maquis algériens. Et de là, elle va aller en Irak et en Afghanistan. A la fin, on fera d'elle un agent dormant qui va se charger d'un attentat qui va avoir lieu aux Etats Unis », raconte-t-elle. Soulignant « l'évolution » de l'écriture féminine algérienne en soixante ans, elle met la faiblesse du nombre de romancières en Algérie sur le compte des impératifs de l'édition. « Les manuscrits restent parfois dans les tiroirs. Certaines franchissent le pas, d'autres non. Les potentialités existent », note-t-elle. Assia et Djazia Ghouti sont, elles, deux sœurs à écrire des contes pour enfants. Le secret de la femme magique et Qu'y a-t-il dans le panier ? leurs premiers ouvrages publiés par les éditions Dalimen. Les illustrations sont réalisées par leur propre mère, artiste-peintre. « Le manque de livres pour enfants nous a encouragées à écrire ces textes. Le fait qu'on écrive ensemble, est une affaire de famille. Nos écrits sont inspirés de ce que nous racontent les enfants. Quand je commence à écrire, je ne peux plus m'arrêter », souligne Assia Ghouti. Les deux sœurs ont plusieurs projets en tête. Invitée à évaluer la tenue du Sila 2008, Naïla Bouchareb, des éditions Sédia, pense qu'il est mieux organisé que celui de 2007. « C'est plus professionnel. On répond à nos questions. On ne nous laisse pas attendre », déclare-t-elle. Ce n'est pas l'avis de Nacéra Belloula. « J'ai l'impression que ce Salon régresse d'année en année. On a parlé de la maturité. Je ne vois pas où est cette maturité », relève-t-elle.