L'importation et la vente du livre religieux pose problème en Algérie, en dépit de la présence d'un système de contrôle rigoureux. Ministère des affaires religieuses, douanes et membres du comité d'organisation de la foire du livre reconnaissent volontiers que des ouvrages subversifs peuvent échapper au maillage de vérification mis en place. Le ministère des affaires religieuses à qui incombe le contrôle du contenu des titres religieux, une fois que toutes les pièces administratives avalisées, est le premier à admettre qu'il est dans l'impossibilité de procéder à un contrôle minutieux. “Nous n'avons pas intérêt à ce que certains livres, qui incitent à l'extrémisme, entrent au pays”, lance d'emblée le ministre des affaires religieuses et des waqfs, Bouabdallah Ghlamallah, en indiquant toutefois que les membres de la commission de lecture du livre religieux donnent leur autorisation ou pas sur la base uniquement de la liste des ouvrages fournie par l'importateur. Le contenu des conteneurs n'est pas examiné pièce par pièce, précise-t-il. En effet, toutes les maisons d'éditions ou les simples importateurs désirant mettre leurs produits sur le marché algérien ou seulement l'exposer au Salon du livre – organisé annuellement dans la capitale – doivent impérativement avoir l'autorisation du ministère des affaires religieuses, et ce, après avoir soumis une demande et un échantillon du produit qu'ils souhaitent faire entrer sur le territoire national. Ce n'est qu'une fois que ce département donne son aval que la maison d'édition entame les formalités douanières. “Sans notre autorisation, aucun produit n'entrera dans le pays”, déclare M. Ghlamallah. Si le contrôle est assuré à longueur d'année, il reste que le ministère des Affaires religieuses met en place un dispositif spécial à même de neutraliser toutes les publications malveillantes et contraires aux préceptes de l'Islam et aux constantes nationales durant la foire du livre. Pour ce qui est de cette manifestation, le tri est vite fait dans le lot des anciens titres. Quant aux nouveaux, la commission de lecture des affaires religieuses n'arrive à lire qu'une moyenne d'une quarantaine de livres, compte tenu du nombre important des ouvrages soumis au contrôle et du manque de temps. “Autant d'importateurs de livres religieux que de librairies” À un jour de l'ouverture officielle de la 13e édition du Sila, le comité interministériel n'avait pas encore clôturé ses opérations de contrôle et était donc dans l'impossibilité de nous donner un chiffre définitif des ouvrages rejetés. L'année dernière 1 191 titres religieux ont été interdits d'exposition par la commission de lecture des affaires religieuses pour leur contenu subversif. À part l'apologie de la violence et du terrorisme, les livres en question encouragent le racisme et la xénophobie. Dans le lot, il y avait également des supports religieux qui portent atteinte à l'hymne national, à la sûreté de l'Etat, à l'unité nationale, à l'intégrité territoriale ou encore à la sainteté du Prophète. Parmi les livres interdits, l'on peut citer : Ibn Laden, Les vérités interdites, Les organisations terroristes les plus célèbres, La révolution wahhabite, Les armées islamiques et Les politiques qui ont combattu l'Islam. Le ministre des affaires religieuses et des waqfs met en avant l'anarchie qui règne dans le secteur en soutenant qu'il y a autant d'importateurs de livres religieux que des librairies en Algérie. “Celui qui vend le livre religieux n'est pas forcément pratiquant. Les intervenants dans le secteur sont généralement des commerçants.” Il explique l'engouement envers l'ouvrage religieux par “la relation de l'algérien avec l'islam. Le livre religieux dans notre pays marche bien. Il est acheté pour garnir une bibliothèque ou pour être offert à une mosquée”. À la sous-direction de la réglementation de la direction générale des douanes, on se veut plus modéré en affirmant que “le circuit réglementaire de contrôle est très strict, mais il peut y avoir des fuites en quantité rare”. Avant d'aller plus loin dans les explications, on va mettre en exergue la différence qu'il y a entre importation définitive et importation de livres religieux dans le cadre du salon du livre. Dans le premier cas, l'importateur doit s'adresser au ministère de la culture qui lui délivre une autorisation après avoir rempli certaines conditions et eu l'aval du ministère des affaires religieuses sur le contenu de l'ouvrage. Les responsables des douanes soutiennent qu'“ils ont reçu des instructions pour un contrôle très strict. On fait descendre la marchandise. On fouille le conteneur pour savoir, par exemple, dans le cas où un seul tome est autorisé, s'il n'y a pas un deuxième ou un troisième tome importé. Ce n'est pas une question de taxe, mais celle d'un livre dangereux, c'est très sensible”. La police est associée à cette opération. C'est à elle que revient la délivrance d'un visa PAF et le visionnage des CD et K7 à contenu religieux. Les importateurs sont, selon les responsables de la sous-direction de la réglementation au niveau de la DG des douanes, “n'importe quel algérien détenant un registre du commerce adapté”. “Nous voulons un salon sain” S'agissant de la foire du livre, ils affirment que la marchandise est acheminée du port ou de l'aéroport sous escorte au dépôt de la foire. “Les ouvrages non pourvus d'autorisation sont laissés au dépôt en sous-douane en vue de procéder à leur réexportation dans un délai n'excédant pas 10 jours. S'ils ne sont pas réexportés, ils subissent la destruction au frais de l'importateur”. Malgré tout ce maillage, le DG de l'Anep et président du comité d'organisation de la 13e édition du Sila, Mohamed Boucenna, avoue qu'il y a des “risques à ce que des livres religieux subversifs pourraient passer”, précisant que “le livre religieux ne sera jamais frappé d'interdiction et s'il y aura interdiction, c'est que ces livres ne conviennent pas au grand public et c'est pour l'intérêt général”. Selon lui, la commission interministérielle mise en place applique la réglementation. “Cette année, nous avons attiré l'intention de certains exposants qui ont posé problème et à qui on a fermé les stands l'année dernière et parmi eux, il y en a ceux qui ont été interdits d'exposition cette année. Il faut savoir que l'année dernière, il y avait 80 000 titres différents, cette année 120 000. Il est possible que certaines erreurs s'y glissent. Nous voulons un salon sain”. Mouloud Achour, directeur éditorial des Editions Casbah, maison d'éditions affiliée au Syndicat national des éditeurs du livre, pense, lui, que “le livre religieux a sa place au salon du livre comme toutes les productions de l'esprit”. Concernant les garde-fous à mettre en place, il estime qu'“il y a des autorités chargées de connaître la nature et le contenu du livre religieux. Ce n'est pas le rôle des éditeurs d'exercer ce contrôle”. Plus explicite, il considère que “les éditeurs sont connus et les auteurs aussi. Les méthodes de contrôle sont faciles et connues également. Aucune maison d'éditions au monde n'est pour la censure. Il n'est pas question néanmoins qu'un éditeur algérien accepte un livre subversif”. N. H.