Le projet d'amendement de la Constitution relatif à l'émancipation des droits politiques des femmes ne fait pas l'unanimité, que ce soit chez les juristes ou chez les militants des droits de l'homme et du mouvement associatif féminin. La majorité estime l'initiative très louable, mais frappée de suspicion du fait des conditions dans lesquelles elle a été prise. Ainsi, pour Me Boudjemâa Ghechir, président de la Ligue algérienne pour les droits de l'homme (LADH), l'idée de promouvoir les droits politiques des femmes et leur permettre d'avoir les mêmes chances d'accès aux postes électifs est formidable. « Cependant, ce qui pose problème, c'est le fait de l'institutionnaliser à travers un amendement de la constitution. Un simple article introduit au niveau de la loi électorale aurait suffi pour la rendre effective sur le terrain », a déclaré Me Ghechir. D'après lui, la démarche cache une arrière-pensée électoraliste. « En fait, le président voulait d'abord et surtout faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel et, en même temps, mobiliser deux catégories d'électeurs, à savoir la famille révolutionnaire et les femmes. Raison pour laquelle nous pensons que l'introduction de la disposition consacrée aux droits politiques des femmes est purement électoraliste », explique l'avocat. Son confrère et président de la Ligue de défense des droits de l'homme (LDDH), Me Mustapha Bouchachi, abonde dans le même sens : « Nous sommes pour l'émancipation des femmes. Mais celle-ci n'a pas besoin de passer par la constitution. L'actuelle loi fondamentale garantit suffisamment l'égalité entre les hommes et les femmes et du coup la démarche du président devient suspecte. A ce que je sache, aucune constitution dans le monde ne consacre un article sur l'émancipation des droits politiques des femmes. Il aurait suffi de trouver d'autres mécanismes législatifs qui peuvent aider à consacrer effectivement cette égalité. » La juriste Nadia Aït Zai, directrice du Centre d'information et de documentation sur les droits des femmes et des enfants (Ciddef), ne partage pas cet avis, estimant que l'amendement n'est que « l'aboutissement des efforts » du mouvement associatif et du Ciddef depuis 2003, pour rendre concret l'accès des femmes aux droits politiques. « Il s'agit de dispositions temporaires qui seront par la suite effectives à travers une loi organique », déclare Mme Aït Zai, qui rejette l'idée « fausse » selon laquelle le système des quotas ne peut régler le problème de parité et d'égalité en matière d'accès aux postes politiques. « Il est important dans des pays qui construisent leur démocratie de légaliser ces droits par des textes, sinon ils resteront virtuels. Rappelez-vous qu'en 2002, le gouvernement FLN avait exprimé sa volonté de propulser des femmes aux postes politiques, mais en 2007, dix femmes seulement ont été élues. Ce sont donc des mesures temporaires, en attendant d'arriver à une réelle parité et égalité dans les chances d'accès aux postes politiques entre les femmes et les hommes », explique la juriste. Les bonnes intentions Louisa Aït Hamou, militante des droits des femmes, estime que dans l'absolu, la proposition est très « noble et importante » pour l'avancée des droits des femmes. « Néanmoins, je doute fort qu'elle soit de bonne intention. C'est de la poudre aux yeux de la communauté internationale. L'amendement a été proposé uniquement pour faire valoir l'amendement lié à l'ouverture du nombre de mandat présidentiel », dit-elle. Présidente de l'association SOS femmes en détresse, Mme Meriem Bellala trouve pour sa part que le projet d'amendement est « un pas positif » mais « insuffisant ». Pour elle, les propositions de Bouteflika ne vont pas consacrer l'abolition de la discrimination à l'égard des femmes. « Ce n'est pas un texte qui garantit l'accès aux droits politiques qui va protéger les femmes de toutes les violations. Le harcèlement est, par exemple, banni par la loi, mais faute de preuves, les victimes se transforment en coupables si l'auteur dépose plainte pour diffamation. La réalité sur le terrain est tout autre. Tant que le code de la famille, la loi sur le harcèlement, etc. ne sont pas changés, pour vraie égalité », note Mme Bellala. Scepticisme Fatma Boufenik, présidente de la l'association Femmes algériennes revendiquent leurs droits, abonde dans le même sens. Elle qualifie la proposition d'« intéressante », mais se dit « très sceptique » quant à sa concrétisation sur le terrain. Elle s'interroge : « Comment le président compte-t-il faire pour influer sur les décisions des partis » pour permettre aux femmes de se faire élire ? « Je me demande également quel sera le devenir de ces femmes militantes n'ayant aucune appartenance partisane ou associative et qui ambitionnent d'occuper des postes politiques ? », s'interroge-t-elle, en précisant que de nombreuses femmes qui mènent leur combat loin des projecteurs sont marginalisées « parce qu'elles n'ont pas de casquette politique ou ne cadrent pas avec les orientations générales du pouvoir ». Mme Ouaret, ancienne révolutionnaire, présidente de l'association Défense et promotion des droits des femmes (DPDF), souligne que le problème avec l'actuelle révision, c'est qu'elle ne passe pas par référendum. « Nous ne voulons pas violer un droit pour en arracher un autre. L'urgence est de résoudre les problèmes liés au chômage, la crise de logement, l'érosion du pouvoir d'achat etc., avant de passer aux droits politiques. Le peuple doit avoir son mot à dire sur cette question, sinon les textes resteront sans effets », dit-elle. Se positionnant à contre-courant de ces opinions, sept associations – Rachda, El Manar, Flambeau de la femme, Promotion de la femme, Saâda, Iqraa et l'ANSEDI – affirment dans un communiqué commun que ces amendements « donnent un moyen légal aux femmes pour exiger une place plus juste dans toutes les institutions ». Selon elles, la révision « place l'avenir du pays dans la modernité réelle et non politicienne ». Entre la proposition du président et les avis des uns et des autres, les femmes continuent et continueront à être exclues des postes de responsabilité dans la sphère publique et privée, car le code de la famille la maintient toujours au statut de mineure, quels que soient ses capacités et son niveau d'instruction. C'est cette violation de la constitution que le président aurait dû réparer pour lui reconnaître sa pleine citoyenneté, avant de penser aux droits politiques.