« En vérité, il ne s'agit là que de simples questions de mésentente politique, bref, de rivalités commerciales et de conflit d'intérêt. Le tout est dû à la forfanterie et à la vanité ! ». Ce jugement, on ne peut plus expéditif sur la colonisation de l'Algérie, eh bien, on le doit à l'Egyptien Rifaa Tahtaoui (1801-1873), homme de la Nahdha et auteur d'une longue chronique sur la vie à Paris de 1826 à 1831. Et dire, qu'entre temps, et au mépris de toutes les convenances de l'époque, la géopolitique de l'Afrique du Nord allait être remise aux calendes grecques pour une durée de 132 ans. C'est que le cheikh enturbanné, à la tête de la mission estudiantine égyptienne don't il avait la charge, n'avait vu aucun mal dans le débarquement des forces françaises sur la presqu'ïle de Sidi F'redj, le 14 juin 1830. Pourtant, il venait de passer déjà quatre années consécutives à Paris. En d'autres termes, il devinait en son for intérieur ce qui allait advenir des relations algéro-françaises et de l'ensemble du bassin méditerranéen. En revanche, se serait-il précipité à porter un jugement similaire si Dieu lui avait prété vie au-delà de 1881, date à laquelle les Anglais mirent l'Egypte en coupe réglée ? Tahtaoui, troublé et fasciné par la ville des Lumières au point de perdre le nord sociopolitique ? Cela est sûr, et il l'a bien décrit dans son célèbre compte-rendu publié à son retour au Caire. En tous les cas, il s'était rendu enturbanné à Paris et il en revint enturbanné, même après avoir maîtrisé la langue française et goûté aux délices et aux finesses de la civilisation française. Il y a donc lieu de déduire, sans grande marge d'erreur, que Tahtaoui avait une vision, somme toute étriquée, du monde arabe en cette première moitié du 19ème siècle. En effet, et c'est là une vérité qui refuse d'être discutée, il avait oublié ou avait feigné d'oublier que l'une des raisons de la chute de l'Algérie en 1830 était due au fait que sa flotte se trouvait aux côtés des flottes égyptiennes et ottomanes dans la bataille de Navarin, à l'entrée de l'Adriatique en 1827, c'est-à-dire qu'elle était restée sans aucune couverture maritime durant trois années consecutives. Il faut dire encore que Tahtaoui, tant célébré comme l'un des apôtres de la pseudo renaissance arabe, s'inscrivait en faux en ce qui concerne l'Algérie et les autres pays de la région qu'il considérait, par voie de conséquence, comme étant séparés les uns des autres, sans aucun lien de religion ni de langue, voire sans entité géopolitique consacrée depuis des lustres. Pourtant, on était encore loin de ces nationalismes mesquins que nous connaissons aujourd'hui et on ne lui demandait pas d'établir les traits que les pays arabes pouvaient avoir en commun. Bien des décennies après, le grand poète Ahmed Chawqi (î), lors de sa visite en Algérie, s'était senti outré d'entendre un petit cireur baragouiner en pataouète plutôt qu'en arabe tout court, tandis que le doyen de la littérature arabe moderne, Taha Hussein, s'était interrogé en présence de notre ex-ministre des Affaires étrangères : « La France, a t-elle vraiment commis des crimes en Algérie ? » Comme quoi les pendules devraient étre remises à l'heure pour tout ce qui concerne l'histoire de l'Algérie comme celle de la renaissance arabe.