Abderrachid Boukerzaza, ministre de la Communication, a-t-il commis un délit politique d'une extrême gravité au point que même la structure qu'il dirigeait a été supprimée ? S'est-il personnellement mis en porte-à-faux avec la discipline stricte attendue en haut lieu des représentants de l'Etat ? En perspective de la présidentielle, le chef de l'Etat a voulu faire de Abderrachid Boukerzaza un exemple de ce qui attend, à l'avenir, tout ministre qui sortirait des rangs. De tout cela, on n'en sait officiellement rien. Il faut attendre que quelques langues se délient en privé pour recueillir quelques bribes de réponses. Avec naïveté cependant, on pensait qu'avec un ministère de la Communication, l'Etat voulait enfin mettre de l'ordre au niveau des médias publics et surtout doter le pays d'une communication officielle moderne, loin du bricolage actuel. On s'aperçoit aujourd'hui que ce souci s'est effacé devant d'autres considérations occultes. Au demeurant, le président de la République n'a pas dérogé à une tradition bien ancienne dans le pays. Combien de ministres et de chefs de gouvernement ont subi le sort de Abderrachid Boukerzaza ? Ahmed Ouyahia lui-même est sorti maintes fois par la lucarne, mais il a su, chaque fois, revenir par la grande porte. Habile, il a compris deux règles d'or. La première est qu'un chef de gouvernement ou un ministre, lorsqu'ils sont dégommés, ne doivent jamais faire porter la responsabilité de leur mise à l'écart à son auteur, qu'il soit civil ou militaire, et surtout ne jamais se rebeller contre l'auteur de l'éviction. Ils doivent au contraire se dire qu'ils méritent leur sort sans cesser de faire l'éloge du chef. N'ayant pas compris cela, Ali Benflis, Ahmed Benbitour et de nombreux ministres se sont vu, ces dernières années, fermer définitivement la route du pouvoir. La seconde règle d'or est de se doter constamment d'une bonne dose de masochisme : Ahmed Ouyahia a positivé sa rétrogradation du poste de chef de gouvernement à la fonction de simple coordinateur de l'équipe gouvernementale, comme il n'a vu aucun inconvénient à ce qu'il présente devant le Parlement un simple plan d'action dont il sait qu'il ne servira à rien sur le plan pratique, si ce n'est à préserver la façade de « la responsabilité » gouvernementale devant les élus. Enfin, arme suprême : s'ériger en champion de « l'intérêt de l'Etat », brandir celui-ci à chaque fois et en n'importe quelle circonstance pour culpabiliser les adversaires ou se sortir de situations encombrantes. Ça marche toujours en ces temps de perversion des valeurs et Ouyahia ne s'est jamais privé d'y recourir. Dans les mois à venir, le nouveau Premier ministre moulera encore plus cet « intérêt de l'Etat » avec celui du pouvoir politique, le but étant de faire accréditer l'idée que tout opposant à la réélection de Bouteflika est nécessairement un antinational. On comprend mieux aujourd'hui pourquoi Ahmed Ouyahia a été rappelé au poste de chef du gouvernement en remplacement de Abdelaziz Belkhadem, certes fidèle du président de la République mais beaucoup moins flexible.