L'ingestion de produits caustiques constitue une des causes des consultations d'urgence les plus importantes. Le nombre de cas augmente d'année en année et inquiète sérieusement les professionnels de santé. Leur seule arme est la dilatation instrumentale. A. N., âgée de 2 ans, est venue de Ouargla. Elle bénéficie d'une première dilatation après avoir ingurgité un produit caustique (esprit de sel) depuis 6 mois dans le service de médecine interne à l'hôpital de Kouba. Son œsophage est pratiquement réduit. Assistée par une équipe médicale, A. N., allongée sur une table pour une séance de dilatation, une technique qui nécessite un savoir-faire, n'avait que la force de sa voix pour exprimer sa douleur. Une bougie montée sur un fil guidé est introduite dans son tube digestif afin de dilater la sténose œsophagienne provoquée par le produit toxique. Le geste est pratiqué avec beaucoup de précision par le professeur Touchene, en suivant le moindre détail sur un écran affichant la sténose à dilater. « Les victimes arrivent, pour la plupart, de l'intérieur du pays et, généralement, tardivement. Nous pratiquons cette technique depuis 28 ans et nous sommes un centre de référence. Il y a deux autres centres à Alger, à savoir Bologhine et Mustapha, mais la demande reste très importante au niveau de notre service. Nous arrivons à faire quatre à cinq séances par semaine de plus de 10 malades entre les enfants et les adultes », signale le Pr Touchene qui tentait de soulager la petite de sa souffrance et de la consoler. Il nous explique que la dilatation constitue le moyen efficace pour les sténoses œsophagiennes. « Des séances de dilatation sont ainsi répétées au début deux fois par semaine, voire tous les mois. S'il n'y a pas de récidive, l'acte est renouvelé une fois par an. Il nous arrive d'effectuer 60 séances de dilatation chez certains patients, afin de permettre à ces enfants, que nous continuons à suivre jusqu'à l'âge adulte, de se nourrir normalement », a-t-il ajouté. Parmi les produits ingérés mis en cause dans ces problèmes de santé publique, le Pr Touchene classe en premier les décapants de four. L'olivette, produit de conditionnement des olives utilisées notamment en Kabylie et l'eau de javel sont autant de produits incriminés. Ces produits sont présentés malheureusement, s'indigne-t-il, dans des emballages ne portant aucune indication sur la dangerosité du produit. Ils sont sous forme liquide, ce qui complique davantage la situation. Les utilisateurs doivent aussi être plus vigilants, en évitant de transvaser ces produits dans des bouteilles d'eau minérale ou autres. « Nous avons interpellé les pouvoirs publics sur ce problème, en vain. Il est urgent d'interdire la vente libre de ces produits et ne laisser que la forme en spray, comme cela est le cas par ailleurs dans le monde », a-t-il indiqué. « Les complications, signale le Pr Touchene, sont lourdes de conséquences. Les sténoses sont souvent importantes car elles empêchent ainsi le passage des aliments, surtout les produits solides. Il arrive souvent que des malades viennent en urgence pour extraction de morceaux de viande ou d'une olive qui bouche l'œsophage. Au moment de l'intoxication, il est recommandé de ne rien donner à boire ni eau ni lait et de se rendre rapidement aux urgences d'un centre hospitalier. S. H., que nous avons rencontré au service, venait juste de terminer sa 38e séance de dilatation. Ce jeune garçon figure parmi ces dizaines de malades suivis au niveau du service. Cet enfant, âgé de 7 ans, est nourri exclusivement à la soupe depuis son accident survenu à l'âge de un an et demi, suite à l'ingestion d'une olivette. Il en est à sa 38e séance de dilatation. D'après sa mère, il est actuellement bien pris en charge. « Mais je continue à le surveiller, surtout après tout ce qu'il a subi avant d'arriver dans ce service. Il ne se nourrissait pratiquement pas. Il est très fragile, puisque tout ce qui est viande et aliments solides lui sont interdits », lâche-t-elle les larmes aux yeux.