Un premier tour de manivelle est, en Algérie, presque un événement hors norme. Parce que, d'abord, il rappelle le tragique délitement du cinéma national, une institution dont il n'est plus possible de parler qu'au passé. Pourtant, ce n'est pas l'envie, le désir puissant qui manquent aux professionnels de cette magnifique discipline de créer, de produire et d'aller à la rencontre du public en Algérie et dans le monde. C'est ce sentiment mitigé de regrets, mais aussi d'un espoir violent, qui a plané sur le coup d'envoi, hier après-midi à Alger, du long métrage de Mohamed Khalidi, Et, le soleil se lève aussi. Le cinéaste a porté ce projet comme un credo dans un élan irrépressible d'affirmation d'une identité culturelle et d'une histoire qui est forcément celle de son pays. Ce n'est toutefois pas un premier tour de manivelle qui devrait ainsi être donné, mais dix ou cent. Il y a un tel potentiel dans ce pays que le tassement de la cinématographie algérienne installe un terrible climat de frustration et d'illusions perdues. Est-ce une question de moyens ou de volonté ? Ce qui est certain, c'est que les Algériens, professionnels et grand public, ont l'impérieuse nécessité de se réapproprier un service public intelligent et généreux dont la crédibilité passe inévitablement par une médiation de l'Etat. C'est un profond déficit d'images qu'il s'agit de combler pour donner à la société algérienne la mesure de son histoire et de son présent. Le cap de l'Etat mécène et pourvoyeur de fonds à perte est évidemment révolu, mais la renaissance du cinéma et de l'audiovisuel algériens ne peuvent pas s'appuyer sur quelques initiatives éparses et ponctuelles. C'est en fait le soubassement culturel qui entoure le cinéma et l'audiovisuel qui sont en jeu. Reconstituer le réseau de salles tombé en déshérence, former des professionnels qui vivront du cinéma et lui créer les conditions pour que le goût cinématographique soit enfin hissé, sont autant d'options stratégiques qui ne peuvent pas être assumées par un ou plusieurs individus. Cela ne peut pas être mis en œuvre hors d'une intervention pertinente de l'Etat qui reste le propriétaire des médias lourds sur le versant audiovisuel. Ce qui restera anormal, c'est alors le fait que les films algériens, tous genres et formats confondus, restent enfermés dans des boîtes et qu'ils ne profitent pas d'un accueil public une fois faits. Il convient sans doute aujourd'hui d'avoir la lucidité de mettre les choses à plat en considérant d'abord que l'état de déliquescence avéré du cinéma algérien engendre un retard d'autant plus paradoxal qu'il n'a en réalité aucune raison d'être au moment où le cinéma et l'audiovisuel sont marqués par une formidable révolution technologique. Qu'est-ce qui s'oppose à une émergence que chaque citoyen de ce pays ne peut qu'appeler de ses vœux les plus fervents en étant simplement jaloux de ce qu'entreprennent les autres dans le monde sans être ni plus riches ni plus motivés que les Algériens. Chaque film algérien devrait être, dans ce sens, un acte de naissance du cinéma algérien, selon la formule enthousiaste qu'utilisa Malek Haddad en commentant L'Opium et le bâton de Ahmed Rachedi. Et il faut le dire avec le poète : un film algérien est un acte de vie.