Une rencontre prometteuse entre l'art et l'artisanat, la peinture et la littérature, les couleurs et la parole. Etonnante exposition en cette fin novembre à l'espace Média-Book, rue Ahmed Zabana (ex-Hoche), où Farah Laddi confirmait son grand potentiel artistique porté par les techniques de la peinture sous-verre. Trente-quatre œuvres aux formats variés (le plus souvent en 20 x 30 cm) étaient présentées, mixant le genre avec différentes autres techniques, dont celle du collage et du posage de sable de Bou Saâda. Sur les parois de la salle, une série de thèmes, savamment répartis, exprimés avec des élans de beauté, une sensation de fragilité et surtout de la sincérité. Farah Laddi produit une œuvre qui s'inspire en partie du parcours artistique de la peinture algérienne, cheminant sur les traces de ses pionniers les plus émérites et cherchant sa voie vers la modernité à travers un symbolisme retenu. Cette démarche apparaît notamment à travers « pensée pour les anciens » où le prestigieux trio Baya, Issiakhem et Khadda est célébré par la réinterprétation de certaines de leurs œuvres translatées, si l'on peut dire, avec la technique de la peinture sous-verre. C'est, dit l'artiste, un clin d'œil aux jeunes peintres afin qu'ils n'oublient pas et aussi une manière de les inciter à étudier leurs illustres prédécesseurs. Dans Patrimoine, le regard est attiré par la khamsa en représentation symbolique sous une forme moderne. La « Série Florale », répartie en deux groupes, nous dévoile ce souci du détail que Farah Laddi met en scène dans un chromatisme scrupuleux aux signes d'enluminures, dorures et argentures. Sous les tableaux, deux livres sont posés : L'île du diable et La nuit des origines. c'est d'ailleurs l'originalité de cette exposition que de lier des œuvres picturales à des livres, comme si la passionnée de lecture puisait dans la littérature toute son inspiration et voulait signifier l'interaction entre tous les arts et l'écriture. Sur le thème de la mer, dans la Série Marine, deux livres : Eldorado de Laurent Gauder - un hommage aux harragas - que reprend le tableau sur fond marin en collage et sable et, à côté Scènes de la pêche en Algérie, parabole du livre de Mohamed Magani et peinture sous-verre irisé. La mer c'est bleu, mais souvent on y voit rouge ! C'est dans l'arc en ciel de la Série Alger que nous interpelle ce tableau intitulé « Ce pays est le notre », d'après le titre du livre de Abdel'alim Medjaoui, illustré par une symbolique empruntée aux tapis du Mzab ou de Kabylie, des couleurs rougeoyantes dominantes dans un arc en ciel éclaté. A proximité, en juxtaposition, ce Feuillet d'El Djazair où, dit l'artiste : « Voilà comment je voie Alger de ma fenêtre ». Alger en opposition entre hier et aujourd'hui : coupole/cube, ordre/confusion, présence/effacement, Alger, mille et une nuits / Alger mille et un soucis… Dans l'une des œuvres au langage floral, la composition rappelle un mouvement de papillons et de pétales d'iris entremêlées et font penser à une drosophile carnivore qu'inspire à l'artiste le livre Mes hommes de Malika Mokkadem. Sur un panneau, griffant un tabou, la jeune Farah Laddi, un nu stylisé, intitulé Saada la marocaine éponyme du livre d'Elissa Rhais. A côté un livre de la même Elissa, Le café chantant. A la demande de visiteurs, Farah Laddi explique la symbolique de la toile de jute posée à terre sous chaque tableau avec un livre dessus. Le jute (corchorus) est la toile du pauvre. Cette tiliacée relie, le temps de l'exposition Artisart, l'œuvre écrite à l'œuvre picturale pour montrer concomitamment l'humilité de la nature et de la création artistique. Lors du vernissage, Farah Laddi a déclamé un poème parmi un public où figuraient plusieurs peintres et écrivains. Le texte était tiré du recueil La meilleure forcedu grand poète algérien Messaour Boulanouar, : « Je vous parle d'aimer tout ce qui tue la haine /Je vous parle d'aimer tout ce qui doit renaître ». Tout à fait dans l'esprit de cette artiste qui promet.