Rencontre au croisement 36°46'01.50'' Nord - 3°03'01.99'' Est, avec l'auteur de 3° à l'Est, recueil de nouvelles urbaines et délirantes. Un peu comme Alger. Vous revenez avec un recueil de nouvelles* après deux romans**. Pourquoi ce retour à la nouvelle ? Chez nous, celui qui écrit des nouvelles est considéré comme un amateur en littérature, alors que dans la tradition anglo-saxonne, la nouvelle, « short story », est très importante. La nouvelle, c'est la Maruti de la littérature : tout le monde méprisait cette petite voiture et pourtant tout le monde l'achète et trouve qu'elle n'est pas mal du tout ! J'ai commencé par écrire des nouvelles, et jeune je ne lisais que ça, Borges, Edgar Allan Poe, Azimov, puis j'ai fait deux romans… Je crois que je vais finir par écrire un roman sur les nouvelles. Il y a une nouvelle manquante : on lit effectivement sur la quatrième de couverture le résumé d'une histoire de quelqu'un qui cherche un livre introuvable… Je viens de m'apercevoir que la onzième nouvelle n'a pas été incluse dans ce recueil. L'histoire se passe au Salon du livre d'Alger, avec des policiers qui cherchent des livres et des personnages réels tels que Rachid Boudjedra et Yasmina Khadra… Je ne sais pas pourquoi cette nouvelle a sauté. Vos nouvelles se passent pour la plupart à Alger. Est-ce que la littérature urbaine est comme la nouvelle en Algérie : une pratique abandonnée ? Oui, il y a un manque en littérature urbaine en Algérie. Pourquoi écrire toujours sur Bouamama ou sur l'exil ? Il faut parler des choses qu'on connaît…Le cliché du citadin « tchitchi » reste fort : un Algérien authentique c'est celui qui vit dans la ruralité ! faut-il parler des champs de blé ou décrire la cueillette des olives pour être « authentique » ? Moi, je ne les vois pas tous les jours, les champs de blé et les oliviers à Alger ! Moi, j'aime les poteaux. J'aime le bitume. On n'a pas d'Algérois dans les hautes sphères militaires ou gouvernementales. Idem pour les habitants des grandes villes, Oran, Tlemcen, Annaba…Cela va loin, pourquoi ne pas reconstruire l'Algérie avec ses élites citadines ? Alger souffre de ses représentations. Il n'y a qu'à voir les photos d'Alger de l'ère coloniale qui sont devenues une mode… C'est de la schizophrénie. Tout le monde déteste Alger et tout le monde veut y habiter. Par quoi on a symbolisé Alger ? Par « Houbel » (monument des Martyrs), une construction canadienne et un centre commercial. Ou la Grande Poste, un édifice du temps du colonialisme. C'est quoi le symbole d'Alger ? La Casbah, en pleine destruction ? La question est : c'est quoi Alger maintenant ? Quels sont ses repères ? Il faudra remettre Alger au centre des questionnements. Sinon, moi je ne suis pas contre d'aller à Boughezoul ! Dans vos textes, on voit que la violence n'a pas disparu du pays… Nous sommes toujours dans la violence, regardez ce qui se passe avec la violence contre les femmes ! Dès que les seins poussent, ça bascule pour la femme qui ne reprend son statut d'être humain que lorsqu'elle devient grand-mère ! On attend toujours en Algérie le Lincoln de l'abolition de l'esclavage sexuel. Dans l'une des nouvelles, policiers et terroristes poursuivent le même homme… Est-ce un pied de nez au manichéisme des années 1990 ? Du temps de la guerre civile, on a essayé de sortir de la vision manichéiste (par exemple éradicateur-réconciliateur). Le manichéisme était nécessaire à l'époque pour délimiter les camps en conflit. Maintenant, quand on voit Layada venir en 4X4 assister à l'enterrement du général-major Smaïl Lamari, on se pose des questions… C'est-à-dire que, 200 000 morts après, islamistes et militaires ont négocié, très vite et sur notre dos. Alors que la société entière demandait ces négociations depuis le début ! Maintenant, il n'y a plus de manichéisme. C'est la confusion. Les mots et les idées ont été vidés de leur sens. Ad. M. * 3° à l'Est, éditions Chihab, 2008 ** Le Faiseur de trous, chez Barzakh éditions et Après demain, chez éditions Chihab.