L'affaire Khalifa, la faillite d'Union Bank, de la BCIA et de CA Bank, ainsi que les nombreux scandales ayant éclaboussé les banques publiques ont mis à nu la fragilité préoccupante qui caractérise le système financier algérien. Si le secteur privé n'a pu survivre à son échec, les établissements étatiques ont pu s'en sortir parce que maintenus sous perfusion. Les différentes opérations d'assainissement ont coûté au Trésors public plus de 15 milliards de dollars. Très souvent, le sauvetage des banques publiques s'est poursuivi sans qu'il n'ait été demandé à celles-ci des comptes particuliers ou de s'astreindre à une obligation de transparence. La preuve : hormis la BEA et le CPA, aucune autre banque n'a jusque-là présenté un bilan public. Pis, certaines banques se sont fait même récemment tirer les oreilles par leur tutelle pour avoir fourni des rapports tronqués. Une preuve, sans doute, que la gestion à la petite semaine des institutions financières du pays est encore de mise.Si pour certains experts, la cause d'une telle situation est l'environnement immédiat dans lequel évolue le secteur banquier, notamment le flou qui caractérise les textes, pour d'autres, les vrais responsables sont à chercher parmi les directeurs d'agence accusés de « complicité active ou passive » dans ce qu'ils qualifient de « pillage de la ressource ». Un commissaire aux comptes nous a dit que souvent, ce sont ces « petits directeurs » d'agence primaire « qui montrent aux clients comment contourner la réglementation ». « Les histoires de chèques de cavalerie, les chèques sans provision que l'on met volontairement sous le coude, les comptes d'ordre sont souvent des pratiques qui ne peuvent être utilisées sans la complicité active du chef d'agence », explique notre interlocuteur. Selon lui, il existe cinq phénomènes de détournement de la ressource : la complicité active ou passive de l'encadrement, la permissivité de la réglementation notamment en matière de transfert de devises vers l'étranger, l'inertie pour ne pas dire l'absence de contrôle interne, le dysfonctionnement du système d'information et enfin une justice lente et non spécialisée qui « fait beaucoup plus dans le show ». « Ce sont les cinq paramètres qui sont à l'origine des différents scandales auxquels les banques ont été soumises. La réglementation bancaire reste totalement dépendante de la conjoncture économique mondiale. Nous avons l'impression que les autorités ont peur de rendre les lois plus restrictives. Regardez la facilité avec laquelle les transferts de devises vers l'étranger se font à partir de notre pays. L'Algérie agit en position de faiblesse. Elle a peur de dresser les garde-fous qui permettent de filtrer le flux de devises vers l'étranger. Pourtant, tous les pays ont leur système de protection. Rien ne passe si les opérations en question sont frappées de suspicion », explique un banquier. Un avis partagé par un inspecteur des finances pour lequel les défaillances du contrôle interne aux établissements sont les principales causes du dysfonctionnement des banques. « Le contrôle interne a de tout temps été imposé par la voie légale alors qu'il doit être un instrument imposé par le besoin de contrôle et de fonctionnement. En fait, il ne s'impose pas mais s'exerce au quotidien, sur place. Or ce qui s'est toujours passé est tout autre. Le contrôle est dicté non par l'exercice du métier, mais par le souci de règlement de comptes politiques entre clans d'opérateurs ou de dirigeants. Je ne cesserai jamais de dire que le contrôle est une technologie qui ne se décrète pas par un texte », dit-il. Pour un expert comptable, c'est « l'anarchie qui gangrène » le système d'information qui profite aux clients indélicats. « L'Etat a investi des sommes colossales pour informatiser et, de ce fait, maîtriser le flot d'informations bancaires, mais sur le terrain, il n'y a rien. La fiabilité du système actuel est dérisoire, ce qui explique la lenteur des réactions face à une quelconque anomalie, comme par exemple un déficit de caisse », note l'expert-comptable. Lui aussi met l'accent sur le problème de la justice, qui est loin de régler les contentieux financiers. « C'est simple, l'Algérie reste désertique en actes de jurisprudence bancaire. Les tribunaux font plus du spectacle que des procès. Une situation qui bien évidemment profite aux pilleurs de ressources », souligne notre interlocuteur. L'ensemble des spécialistes avec lesquels nous nous sommes entretenus estiment que l'Algérie n'a pas profité des différentes opérations d'assainissement, pour ne pas dire « opérations de sauvetage des banques publiques ». « Nous avons remplacé la peste par le choléra », affirme un commissaire aux comptes. « Au lieu de faire table rase et de recommencer à zéro, on reprend l'actif et le passif pour redémarrer l'entreprise. Nous avons toujours été à la recherche de solutions rentières en lieu et place de celles qui garantissent la prospérité. Nous avons certes beaucoup d'argent, mais pas beaucoup d'idées. Ce qui démontre une incompétence flagrante et des rouages qui ne mettent pas à nu la vérité de l'économie algérienne. Ce qui dénote la situation de sous- développement de notre système financier », dit-il. La Banque d'Algérie, note-t-il, organe de contrôle et de régulation, ne peut rien déceler de ces anomalies qu'une fois qu'elles ont déjà été consommées. « La loi lui a permis de se délester de son pouvoir de contrôle au profit des banques primaires. Les anomalies sont couvertes à ce niveau, c'est comme lorsque l'auteur du vol est un policier. Il sait très bien masquer ses actes illégaux. Ce n'est qu'à ce niveau que nous pouvons diluer un compte douteux, par exemple, afin d'éviter que le clignotant ne s'allume. Il est important de relever qu'aucun texte n'oblige la Banque d'Algérie de procéder au contrôle a priori. De plus, elle n'a pas les moyens de le faire. »Tous nos interlocuteurs insistent sur le principe de contrôle interne, seul moyen de faire face aux clients indélicats. Selon eux, une bonne sélection d'un personnel qualifié, payés selon ses compétences, est à même de barrer la route aux opérations de pillage de la ressource. Pour eux, si les banques publiques n'ont pas été touchées par la crise des subprime, ce n'est pas parce qu'elles sont bien gérées, mais « uniquement parce qu'elles ont été maintenues dans un système de gestion qui leur interdisait d'avoir une autonomie de placement et d'investissement ». Une situation appelée à disparaître avec l'ouverture inévitable de leur capital au privé, tel qu'édicté par l'économie de marché. Il est clair que si les règles de celle-ci avait été respectées, il n'y aurait jamais eu autant de fonds détournés par des opérateurs indélicats ni autant de crédits alloués à des entreprises aux fondements d'argile. Les scandales se succèdent pour éclabousser l'ensemble des établissements publics et mettre à nu la fragilité inquiétante du système financier algérien, même si pour l'instant, la manne pétrolière permet de les maintenir sous perfusion. En l'espace de dix ans, les spécialistes estiment à plus de 200 milliards de dinars le montant pillé des banques publiques. Les exemples les plus éloquents restent la BADR et la BNA. Cette dernière, au vu des montants détournés (voir les clés), paraît la plus mal gérée d'entre les banques publiques. Pendant toute cette période, il n'est pas faux de dire que les institutions financières publiques ont constitué la tirelire de certains pontes du système, de leurs protégés et de prête-noms ainsi que des barons de l'import-import.