Le système bancaire algérien est en détresse. Il est hors temps, voire dangereux pour l'économie nationale, selon l'ancien ministre des Finances. Même si les qualificatifs sont quelque peu excessifs, il reste néanmoins que les banques algériennes ont du plomb dans l'aile. Sous-qualifiées, sans audace, trop administrées, les banques publiques font pour quelques-unes dans la pruderie, et pour d'autres, sous les injonctions, dans la déliquescence absolue. Le récent réaménagement des managements indique bien les tumeurs malignes qui ont cancérisé tout le système. Obsolescence ou dérive, raréfaction des crédits pour les laborieux et mannes ouvertes pour quelques miraculés d'une industrie privée naissante, ces banques-là ont bureaucratisé ou saigné l'économie nationale. Mais qu'importent ici leurs tares et leurs insuffisances respectives, elles vivront l'espace de la transition à l'économie de marché. Elles s'y adapteront dans la douleur en épousant toutes les formes nécessaires à leur survie ou disparaîtront. Ceci ou cela est inéluctable. Reste seulement à évaluer les dégâts... Déjà, la messe est dite ! Au demeurant, les banques du secteur public ont entamé leur chemin de croix. La BADR se respécialise dans le monde agricole. De comices aux planchers des vaches, elle perdra au fur et à mesure de son lustre d'antan pour disparaître subrepticement. Même sort pour la CNEP qui se replie sur son traditionnel crédit au logement. Un secteur si convoité par les banques généralistes qu'il ne restera qu'une portion congrue à une caisse d'épargne qui a connu de beaux jours, grâce précisément, à la diversité de ses activités. Peu à peu donc les autres banques nationales viendront sur l'échafaud de la spécialisation. La BNA aura à gérer un secteur industriel étatique transparent. Le CPA reprendra le secteur du bâtiment et celui du médicament. Quant à la BDL, elle aura à distribuer les crédits à des collectivités locales plus fauchées que les blés. Seule, sans doute la BEA survivra au cataclysme, si toutefois les pouvoirs publics décident à lui arrimer, encore, pour les années à venir, le portefeuille providentiel de Sonatrach. Alors, si le sort des banques publiques, à terme, est scellé, sur quoi seront fondés les ressorts de l'économie nationale ? Les banques privées, assurément ! Celles-ci, nées dans le réformisme hybride de la fin des années 1980 et dans une contestation sociale qui a confiné au crime et à la barbarie, sont quelque peu informes. La loi sur la monnaie et le crédit qui devrait régir leur existence et leur fonctionnement s'est accommodée à contenir le bébé dans son eau de bain, malgré toutes les mises en garde des gens de l'art. Par dérogations successives, les banques privées ont vite occupé l'espace financier, à l'allure d'une luzerne qui se répand sur un terrain vague. Plus d'une vingtaine d'institutions financières privées, plus ou moins banques généralistes, plus ou moins banques d'affaires, un peu underground, un peu pignon sur rue, ont donné des couleurs au paysage bien pâle du système bancaire étatique. Ces banques plus futées que professionnelles iront toutes dans un même élan, capter les portefeuilles juteux du trabendo. Plus proches de l'usure que des règles prudentielles édictées par la dite loi sur la monnaie et le crédit, celles-ci vont opérer, pratiquement en marge de la législation, sous l'œil distrait d'une Banque d'Algérie plus encline à épicer les plats qu'à desservir les tables. Dès lors, les règles étant sens dessus-dessous, nos apprentis banquiers feront feu de tout bois, jusqu'à des banqueroutes attendues. Au demeurant, la Banque d'Algérie a facilité le délire en fixant le capital à 100 millions de dinars (1 million de dollars environ), pour le relever plus tard à cinq cents millions de dinars. En exemple, il faut 8 millions de dollars pour créer une banque en Ouzbékistan et 50 millions de dollars en Libye versés dans leur intégralité à la constitution des actes. En dépit de ces apports, d'une modestie saisissante (avec le capital d'une banque en Algérie, on ne peut même pas se payer une masure à Hydra), la Banque d'Algérie accorde d'autres largesses aux banques internationales. En guise de garantie, par exemple, il ne faut pas que Société Générale et BNP Paribas disposent de l'argent qu'il faut pour garantir leurs engagements. Une correspondance de la maison mère supplée toutes les lois algériennes ! Elles sont ainsi les relations internationales. La France d'en haut, l'Algérie d'en bas. Hormis donc les banques étrangères qui ont du grain à moudre, qu'en est-il des institutions financières privées algériennes. Plutôt en débandade ou en régime sévère. Celles qui ont survécu au cataclysme des faillites réelles ou supposées se tiennent le ventre dans l'attente angoissante d'un scandale en tsunami. Pour celles qui ont sauté comme des verrous rouillés, CA Bank, Union Bank, BCIA et Khalifa Bank, il ne plane au-dessous du microcosme algérois que quelques relents d'affaires scabreuses. Les pouvoirs publics n'ont pas fait dans la dentelle, ni de distinguos entre une banque et une autre. Quels que soient les griefs, elles ont soupé du même brouet : la liquidation. Pressés d'en découdre ou d'étouffer à leur état fœtal des scandales qui auraient sans doute éclaboussé quelques hurluberlus de la finance nationale, ces mêmes pouvoirs ont intempestivement déclaré la faillite plutôt qu'une salvatrice continuation de l'activité, y compris si l'Etat devait aller de ses deniers. Oublions un moment CA Bank et Union Bank et traitons de BCIA et Khalifa Bank. En quoi leur stratégie, leur développement leurs difficultés, leurs agissements se recoupent ou se ressemblent. Khalifa Bank est née d'une escroquerie nationale faufilée par quelques piliers du système qui n'ont en vérité que transféré une masse financière colossale de la sphère étatique à la sphère privée pour la dépecer dans l'ambiance feutrée des villas des hauteurs d'Alger, voire de celles de Nice, de Monaco, de Paris ou de Londres. Khalifa Bank n'est pas une banque, c'est un stratagème, une souricière pour l'épargne nationale. C'est une tentation. Un appât pour des responsables taraudés sur ce flanc par la concussion et sur l'autre par le scrupule. Un dilemme pour les consciences plus ou moins intactes. Un raccourci pour tous ceux qui savaient. Et ils étaient nombreux à savoir. Qui peut imaginer qu'une banque puisse accorder des taux d'intérêts à plus de 17%, quand ses concurrents répugnent à rémunérer les dépôts au-delà de 6% ? Ce n'est plus de la banque, c'est de l'usure ! Quel Etat peut-il déléguer ses attributions régaliennes à un quidam pour que celui-ci lui paye - et au nom de quoi ? - des stations de dessalement d'eau de mer ? Quelle compagnie aérienne peut ouvrir une ligne sur les Iles Comores quand les plus hauts responsables de ce pays sont incapables à les situer sur une carte ? On vous fait grâce, ici, des facilités de transfert des capitaux, des dépenses somptuaires et autres largesses que seule une impunité garantie pouvait permettre. On est loin là du cas BCIA, qui elle, s'est vu infliger le même sort pour avoir avalisé des traites et « refusé de les payer à échéance ». Quand bien même un article du code de commerce permettait , si l'on ose dire, à la BCIA, de ne pas honorer les traites présentées hors délais, il est tout de même surprenant de ruiner une banque en expansion, par le seul fait qu'il y ait eu entrave à quelque code de bonne conduite ? C'est à se demander à quoi servent les tribunaux algériens et de quoi participe cette tendance à aller tout de go vers la liquidation, sans aucune forme de procès. On le voit, BCIA n'est pas Khalifa Bank. Les cas diffèrent et subséquemment les sanctions doivent aussi être mesurées à l'aune du crime commis. Ce n'est pas en fauchant toutes les banques privées à capitaux algériens coupables, entre autres, de leur âge adolescent qu'on arrivera à assainir un système financier à même d'accompagner le développement national. En l'espèce, il faut savoir raison garder. S'agissant des capitaux, seule la justice peut rendre des verdicts sereins. Les décisions administratives peuvent être soupçonnées de subjectivité quand elles sont inconsidérées et intempestives. Pourquoi l'Etat est-il si pressé de se substituer à sa justice ? Pourquoi doit-il faire l'économie de procès même pour la démonstration et la pédagogie ? Le bras séculier de la justice tremblerait-il au point de le couper ? Par les temps qui courent, les citoyens ont plus besoin de comprendre comment on rend la justice en leur nom plutôt que ces mises à mort spectaculaires qui taisent, incompréhensiblement, le délit et sa nature. En vérité, banques publiques ou banques privées à capitaux algériens, c'est la même nasse dans laquelle elles gigotent avant de rendre leurs eaux. Ici, spécialisation ou privatisation, la liquidation à la moindre incartade. Ces méthodes abruptes feront le lit des multinationales. Parions que d'ici à dix ans les banques algériennes s'appelleront société générale, BNP Paribas ou City Bank