Au crépuscule de leur vie, ne voilà-t-il pas que, par presses interposées, Chadli Bendjedid, ancien président de la République, et Khaled Nezzar, ex-ministre de la Défense, remuent encore une fois le couteau dans la plaie. Etant moi-même fils de chahid, officier de l'ALN et chef par intérim de la Zone IV de la Wilaya I (Aurès), j'estime de mon devoir d'intervenir dans le seul but d'appeler les deux belligérants à respecter au moins la mémoire des valeureux chouhada tombés au champ d'honneur. Que Chadli soit compromis dans l'affaire appelée à tort ou à raison « le complot des colonels » ou que Nezzar fasse de l'espionnite au profit de la France ou des 3B, il est notoirement connu que ces histoires n'intéressent plus les Algériens justement blasés par ce passé, responsable à leurs yeux, de tous les maux qui rongent leur pays. La légitimité historique a fait le reste. Si les langues se délient aujourd'hui, ce n'est malheureusement pas pour apporter un témoignage qui servira les nouvelles générations, mais plutôt dans le seul but de retrouver une virginité écorchée, voire entachée. Que Chadli Bendjedid évoque « le complot des colonels » en citant le commandant Mustafa Lakehal, de son vrai nom Saïdi Djemoi plus connu sous le sobriquet du Tigre de Palestro, il est navrant que ce même Chadli n'ait eu, au temps où il était président de la République, aucune pensée pour ses fils qui ont vécu et vivent toujours dans le dénuement. Pis encore, comme l'a rapporté Saïd Sadi dans sa dernière conférence de presse, la famille de ce valeureux combattant, lâchement exécuté par ses compagnons d'armes, est traînée dans la boue par un ancien collaborateur de l'armée française qui veut la spolier de la seule demeure qu'elle possède dans la ville de Aïn El Beïda. Ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres cas de familles de chouhada qui, au sortir de la guerre d'Algérie, se sont retrouvées face à la terrible vérité, celle de découvrir le vrai visage de ceux qui ont juré fidélité à ceux qui leur ont permis d'occuper les plus hautes responsabilités dans ce pays pour lequel des hommes avec un grand H se sont sacrifiés. Maintenant que les masques sont tombés (en fait, ils sont tombés bien avant 1962) et que ces deux responsables lavent leur linge sale en public, il est surprenant que ceux-ci ne soufflent mot sur le présent, préférant réveiller les vieux démons et porter atteinte aux familles des officiers exécutés par leurs pairs. Ces héros de la guerre d'Algérie se retournent aujourd'hui dans leur tombe, et leurs descendants (petits-fils), qui ignorent tout de la guerre d'Algérie, découvrent que leurs grands-parents ont, en fait, été exécutés non pour maintenir une certaine discipline dans les rangs des combattants, mais pour des intérêts purement étroits. Le valeureux Saïd Abid, connu pour être un homme d'honneur, et Chaâbani, commandant de la Wilaya VI, ont payé de leur vie pour avoir osé, chacun à sa manière, se révolter contre l'injustice. L'aveu de Chadli sur l'affaire Chaâbani est venu tardivement pour espérer réparer les dégâts, même s'il laisse entendre que Ben Bella fut le principal responsable de son exécution par un peloton algérien à Canastel, quartier périphérique de la ville d'Oran. Combien sont-ils à avoir été éliminés rien que pour des histoires de leadership ou de clanisme, voire de régionalisme ? Ils sont nombreux et l'histoire le dira un jour, quand la France décidera de restituer les archives et que la vérité éclatera. Si personne ne peut renier la participation de Chadli et de Nezzar à la libération du pays, ils ont, en revanche, une grande responsabilité dans tous les malheureux événements vécus par notre pays, notamment durant les années 1980 lorsqu'ils étaient tous les deux en poste. Nezzar qui reconnaît noir sur blanc que les présidents sont choisis par l'armée, ferait mieux, lui aussi, de savourer sa retraite dorée que de verser dans des diatribes qui n'apportent aucun éclaircissement sur ce que fut réellement la base de l'Est. S'il croit avoir contribué à sauver l'Algérie de l'intégrisme et de l'obscurantisme, il omet que le peuple algérien a payé un lourd tribut pour que ce pays ne verse justement pas dans l'islamisme radical. Aujourd'hui, alors que le pays est toujours otage de la légitimité historique qui, il faut le dire, a montré toutes ses limites, Chadli et Nezzar se renvoient la balle dans un jeu qui ressemble étrangement à « c'est pas moi, c'est celui-là » et qui nous renvoie, nous fils de chouhada, à notre malheureuse enfance après que nos pères soient tombés au champ de bataille et que nos valeureuses mères eurent fait face à la dure réalité. Celle de la misère causée par l'ingratitude de ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, montent au créneau pour tenter de s'absoudre en attendant de rejoindre l'au-delà pour rencontrer ceux auxquels ils ont juré fidélité. De grâce, laissez les chouhada reposer en paix et regardez-vous dans miroir au lieu de nous abreuver jusqu'à être gavés par vos histoires scabreuses qui, désormais, n'intéressent plus personne. Si vous ne le croyez pas, alors vous n'avez qu'à descendre dans la rue pour comprendre que les Algériens ont d'autres chats à fouetter. L'auteur est journaliste, fils de chahid, officier de l'ALN, chef par intérim de la Zone IV de la Wilaya I