Je t'avais dit que c'était le KGB. » Bribes de remémoration entre deux anonymes âgés venus au cimetière d'El Alia à l'est d'Alger assister à l'inhumation de l'un des leurs, le général Mejdoub Lakehal-Ayat, ancien patron de la Direction générale de la prévention et de la sûreté (1987-1988) et de la Direction centrale de la sécurité de l'armée (1978-1981), décédé à Genève en Suisse le 3 juin, après une longue maladie. Obsèques militaires et un Abderahmane Chibane de l'Association des ouléma musulmans qui lit la sourate El Fatiha priant Dieu d'accorder au défunt Sa Sainte Miséricorde. « Vous avez vu tout ce monde ! Le défunt était un bon vivant et accessible malgré ses hautes fonctions », commente une vieille connaissance de Lakhal-Ayat, né à Oued Zenata, près de Guelma en 1936 et qui a rejoint l'ALN en 1956. Il y avait du monde dans le cimetière, sous un soleil de plomb, attendant l'arrivée de la dépouille du général de la mosquée de Hydra. Le général-major Smaïl Lamari, chef du contre-espionnage, en complet bleu marine et lunettes de soleil, discute avec des anonymes. Accolades. Gestes précis. Plus loin, le chef du Département de renseignement et de sécurité (DRS, ex-sécurité militaire), le général-major Mohamed Médiène, alias Toufik, derrière de grosses lunettes, en élégant complet vert-gris, observe à distance les illustres arrivants. Mohamed Lamari, l'ex-chef d'état-major, bonne mine et aimable, discute avec Abdelhamid Mehri, l'ancien SG du FLN, et Ali Kafi, qui fut président du Haut Comité de l'Etat (HCE, né après l'interruption du processus électoral). L'ancien patron de l'armée et l'ex-président sont ignorés par Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur, ancien chef par intérim des « services », à l'orée des années 1980, ainsi que par l'actuel chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah et Khaled Nezzar, ancien patron de l'armée et ex-collègue de Kafi au HCE. Le général Toufik suit les scènes d'évitement de loin. Lui aussi peu de gens l'abordent, hormis l'ancien chef du gouvernement Réda Malek, Nacer Mehal, DG de l'APS, et quelques autres anonymes. Le président de l'APN, Amar Saâdani, lunettes noirs et costume sombre aux rayures blanches sans cravate, fait mine de ne pas apercevoir le général Toufik, passe outre et refuse de parler à la presse, prétextant la sacralité de la circonstance. On évacue gentiment le vieux taleb-mendiant de la scène, dont la spécialité est de concurrencer les talebs lecteurs du Coran officiels. Un autre ministre passe : Mohamed Chérif Abbas. Puis voilà Bouguerra Soltani, ministre d'Etat et patron du MSP, qui préfère rester aux côtés du général à la retraite Bouchareb, ancien patron du commissariat politique. Bouguerra qui arrive avec Abdelmalek Guenaïziya, ministre délégué à la Défense. L'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche se tient près du patron de la DRS. Une voiture garée les sépare. Mokdad Sifi, ex-chef de l'Exécutif se fait discret, tandis que le général-major Senhadji, secrétaire général du ministère de la Défense, échange ouvertement les amabilités. On voit Ali Tounsi patron de la DGSN, ainsi que le général-major Mohamed Touati, ex-conseiller militaire à la présidence de la République, surnommé le « cerveau ». « A quand un livre ? » , demandons-nous. « Pas encore », répond-il. Des têtes inconnues alors sortent de l'anonymat, comme le général Allêg, ancien chef d'état-major à la fin des années 1970. Puis il y a le général Ataylia, en saharienne bleu, apparemment bien en forme et Ahmed Taleb El Ibrahimi, ancien ministre de l'Education sous Boumediène, candidat à la présidentielle en 1999. Benabes Ghezeïel, l'ancien patron de la gendarmerie et actuellement conseiller au ministère de la Défense. On a même droit à une apparition surprise de Ali Benflis, ancien SG du FLN, ancien chef de gouvernement et ex-candidat à la présidentielle de 2004. « Mais il y a des absents : Chadli Bendjedid, Liamine Zeroual, et même Mohamed Betchine qui a remplacé Lakhal-Ayat à la tête des services », observe l'ancienne connaissance du défunt qui a été mis à la retraite le 16 octobre 1988, dix jours après le déclenchement du mouvement de protestation populaire. L'oraison funèbre est lue par le général Metidji, non loin de la tombe imposante du père spirituel des galonnés, Houari Boumediène et de celle de ce civil président assassiné en juin 1992, Mohamed Boudiaf. Le cimetière se vide peu à peu. Seul le soleil continue à taper. C'est le début de la saison des chaleurs.