Cette préface écrite par Kateb Yacine est incontestablement le meilleur prélude qui permet de parcourir sereinement le petit livre de Smaïl Aït Djafer, un poème passionnant qui nous fait revivre le désespoir d'un homme et la tragédie d'une petite fille de 9 ans, dans cette Algérie prè-indépendante : la complainte des mendiants arabes de La Casbah et de la petite Yasmina tuée par son père. Il s'agit d'une œuvre éditée en langue française pour la première fois en 1951. Elle vient d'être traduite par Jack Hirchman un auteur-interprète américain, puis publiée en version bilingue, par la maison Curbstone du Connecticut, sous le titre : Wail of the Arab Beggars of the Casbah ( 63 pages -13 dollars). Le travail de Smaïl Aït Djafer est, depuis le mois de novembre, disponible en vente-directe, dans la plupart des grandes librairies de New York. Maintenant que la publication est dans les étalages, il est tout a fait prématuré de faire un jugement sur le volume de la diffusion, vu l'absence de soutiens promotionnels. On peut dire, à la limite, que le livre du poète algérien est le modèle d'œuvres parlant d'un événement réel, une tragédie humaine laquelle (l'œuvre) pourrait s'inscrire dans l'une des tendances caractérisant le très diversifié lectorat américain. Lire le poème aujourd'hui, c'est lire une élégie triste et tendre, mais lire aussi une histoire et un drame. Un voyage de 55 ans en arrière où Smaïl Aït Djafer, un étudiant de 20 ans, vit en ce jour du 20 octobre 1949, Khouni Ahmed, un mendiant extenué, marchant difficilement dans la rue Roosevelt d'Alger. Le malheureux avait faim. Il tenait par la main sa petite fille de 9 ans, Yasmina. Dès qu'il vit un camion s'approcher, Ahmed, dans un geste de désespoir, poussa son enfant sous les roues... L'enfant n'est pas mort... Il le tira, puis le jeta une deuxième fois... L'engin finit alors par fracasser le petit corps de Yasmina. Un événement horrifiant et Aït Djafer a bien voulu le dédier à ceux qui n'ont jamais eu faim... « To those who have never been hungry ». Plus beau qu'un poème pour évoquer cette douleur, on n'en trouvera point. Le texte en question est à sa cinquième édition. Il a été publié, comme nous l'avions cité, en 1951 par un mouvement nationaliste algérien, puis c'est Jean-Paul Sartre directeur de la revue Les Temps Modernes qui le reprit en 1954. En 1960, ce sont les éditions Pierre Jean Oswald qui l'éditèrent en petit livre. En 2002, la maison Bouchène le réimprima. En juin 2004, c'est la firme Curbstone Press qui s'intéressa par sa publication en le mettant sur le marché en version bilingue. Le travail d'Aït Djafer fait, ainsi, son entrée aux Etats-Unis, et c'est encore un autre honneur qui auréole la littérature algérienne. Pour rappel, Aït Djafer est né en 1929 dans La Casbah d'Alger. C'est à l'âge de 17 ans, qu'il a commencé à écrire. Il a vécu en France, en Allemagne et en Suède. Sous le règne de Boumediène en 1965, Aït Djafer, un intellectuel et polyglotte, a jugé bon de quitter le pays. Il a vécu en exil, à Paris, jusqu'à sa mort en 1995.