Exigu, étriqué, sinueux et parfois creusé, le CW 37 déborde de véhicules, surtout durant les week-ends. A destination de Chréa. 21 km de pentes truffés de courbes et de virages en épingle à cheveux. A dissuader les gens ! Pas tout à fait. Le flux de véhicules enregistré par jour renseigne sur l'engouement des populations environnantes. Rien que pour le jour de l'an, plus de 10 000 voitures sont entrées dans ce territoire accidenté. Des familles, des couples, des amoureux... de la forêt viennent « tuer » une partie de leur temps au milieu de ces innombrables cèdres, courbés sous le poids de la neige, laquelle étale son « burnous » sur une superficie de 10 000 ha. Un mélange de vert et de blanc, « noyé » dans un air brumeux qui occupe les lieux à longueur d'hiver. Le paysage est beau et ressemble à un tableau de Picasso. Une ambiance bon enfant y règne, à 1500 m d'altitude. Des gens qui cherchent à « casser » la routine et à oublier les tracasseries quotidiennes se rendent souvent en ces lieux. Des chérubins, joues rouges et têtes enfoncées dans des bonnets de laine, jouent à la boule, se jettent sur la neige, se mouillent et sont contents. Leurs parents les suivent d'un regard tendre, plein d'émotions. Une fois la tournée terminée et les enfants fatigués, la famille se regroupe autour d'un repas qui sera dégusté avec beaucoup de saveur. Les flocons de neige prennent des formes multiples. C'est un régal pour les yeux. Dans cette station estivale, tout n'est qu'ordre et beauté, calme et volupté. Sa position géographique, une sorte de balcon dominant la Mitidja et la ville de Blida, offre un superbe panorama, en laissant bouche bée plus d'un. Entre le froid et le chaud, le noir et le blanc, la neige et les ruisseaux, le temps n'en sera que plus beau. Cédraie sur la droite, châtaigneraie à gauche et glacières en haut de la montagne, la route serpente les reliefs de reboisement, flirte avec les broussailles et s'enfonce dans la forêt de cèdres, laissant des paysages multiples défiler au détriment d'un regard. Chréa, longtemps possédée et dépossédée par le spectre du terrorisme, renoue ainsi avec le bon vieux temps où les bouchons de champagne sautent, au bonheur des fêtes, les sapins décorés et illuminés et les hôtels pleins à craquer. Depuis 2001, la conjoncture a bien changé. La peur qui hantait les esprits commence à disparaître. Le ciel se dégage. Et le soleil radieux y prend place, au bonheur des 16 douars complètement abandonnés et de leurs propriétaires exilés. Après une décennie noire, la commune de Chréa, qui compte 469 âmes, reste recroquevillée sur elle-même, toute blanche. Au fait, Chréa-paysage continue à séduire ses visiteurs. Et Chréa-structures d'accueil leur laisse, en revanche, un goût âpre. L'hôtel-restaurant des Cèdres, une belle œuvre architecturale qui date de l'époque coloniale, n'attire plus de touristes. Complètement délabré, fenêtres cassées, murs ternis et portes fermées, l'hôtel donne des nausées à première vue. Entouré de neige, il ressemble à une vieille cité de démons. Pas loin, faite de bois et de pierres, une école primaire assure des cours à une poignée de bambins. Face à elle, se dresse un barrage des éléments de l'ANP. Armés jusqu'aux dents, ils ont l'air quand même sympa. Le barrage militaire veille à la fermeture du CW 49, reliant Blida à travers Bouanane et Baba Ali, bloqué à la circulation pour des raisons de sécurité. A un pas de là, le parking de la commune, le seul d'ailleurs, affiche complet et une dizaine de voitures seulement y est stationnée. Exigu, pérore-t-on de partout. Les visiteurs qui arrivent en grand renfort, exceptionnellement durant les week-ends, perdent souvent leur patience en cherchant un petit coin où garer leur bagnole. Souvent, ils n'en trouvent pas et retournent chez eux, l'air déçus en plus d'une journée perdue. Pour ceux qui ont la chance de se libérer de leur véhicule, ils se retrouvent quelques heures plus tard gênés de n'avoir pas trouvé où se soulager. Pas de toilettes publiques à Chréa ! Les gens le font donc à l'air libre, à fondre la neige ! L'eau ruisselle de partout et la neige tient longtemps. Lorsque l'hiver est rude, le mercure chute et Chréa se retrouve prisonnière de la neige. Sa population aussi avant que le soleil ne la libère. Le verglas réussit à imposer sa loi sur la route. Les voitures avancent lentement. Les chasse-neige dégagent certes la route, mais laissent intactes les fines couches qui collent à même le goudron. L'eau chaude peut faire l'affaire. Seulement, les autorités locales omettent ce détail. Certains touristes, n'arrivant pas à franchir le verglas, changent de destination ou se contentent de se réfugier dans un petit coin au cœur de la forêt. Sinon, ils se rabattent sur quelques espaces de repos dégagés un peu partout le long du chemin qui monte. De modestes œuvres signées la section locale du Parc national de Chréa. Dans ces espaces, il y a de l'eau et du bois. Des bancs faits de troncs de cèdre abattu. Des plantes de différentes « familles » y poussent. Des joncs envahissent la base des arbres. La zone est entièrement couverte de plantes herbacées à rhizome rampant et à hautes tiges droites. Il y en a de toutes les couleurs. Chréa compte plus de 380 variétés végétales et plus de 800 espèces animales. Mais on n'est plus à l'époque où les panthères et les lions étaient les maîtres de céans. Ces espèces sont, aujourd'hui, complètement exterminées. Les espèces végétales, quant à elles, tiennent bon tant que le climat est stable. Au faîte de la montagne, la fameuse pizzeria du col des Fougères, érigée sur une tête plate, à plus de 1600 m d'altitude, tient bon, malgré le poids des ans. Ses murs résistent aux coups durs de l'humidité. Fait en bois bien arrangé, l'édifice, malgré son usure, ajoute un grain de beauté à cet ensemble naturel. A un jet de l'entrée principale, deux igloos retiennent l'attention des touristes. Certes, nous ne sommes pas au pôle Nord et au pays des Esquimaux. Ces deux petites « tentes » sont l'œuvre de quelques mains artistiques d'enfants qui se régalent à construire des objets multiformes avec de la neige. Occupation ô combien amusante même pour les personnes âgées ! En face de ce terrain dégagé, le télésiège est à l'arrêt. Le câble est complètement rouillé. « Tout est à refaire », lâche un vieux habitué des lieux. Quelques adolescents grimpent sur les sièges rongés. Ils tentent de voir la mer. Ils sont convaincus qu'on peut voir du haut de ce point le plus élevé de Chréa les bateaux qui quittent ou qui accostent le port d'Alger. Du col des Fougères, on domine tout. La forêt de cèdres offre à ses visiteurs une belle vue sur tous les plans. Au bas du col, le Ski Club entretient difficilement son nom. La station est envahie par les amateurs de ce sport. A côté du terrain, des jeunes adossés aux arbres s'adonnent à une activité : la location des luges. Cela rapporte de l'argent. Les prix proposés varient selon la durée. Par exemple, pour une heure de location, on paie 150 DA. D'autres font dans le commerce des sandwichs, sinon dans la photographie. Pour cette dernière, ils choisissent les meilleures places et les plus beaux paysages. Autour de la station et tout le long de la route, des chalets aux formes variables ont été érigés. Certains, soigneusement construits, s'apparentent de loin à un démembrement naturel. D'autres ternissent la façade. Les autorités locales ont ainsi adressé des correspondances aux propriétaires de ces chalets pour les réhabiliter, faute de quoi la mairie les récupérera. La station du téléphérique est implantée au milieu du Ski Club. Reliant Chréa à Blida, le téléphérique n'est toujours pas opérationnel. Jusqu'à quand ? La version donnée par le vice-président de la mairie, Abdelkader Bouderbala, fait état d'un projet qui concerne la réparation du téléphérique, l'extension du télésiège de façon à parcourir quelque 1200 ha de forêt, la construction d'un hôtel et d'une école de ski en élargissant également l'actuelle station. Un ambitieux projet qui devrait être confié à une entreprise algéro-française, SIRELIC. Pas loin du club de ski, il y a le fameux restaurant des Cèdres. Une véritable œuvre artistique réduite en cendres. Ce restaurant a été confié, en 2001, à un investisseur, Akli Chaya en l'occurrence, pour le restaurer. Deux ans plus tard, rien n'a été fait. Pis, le restaurant a été dévoré, le 12 décembre 2002, par le feu. Les autorités locales ont décidé alors de résilier le contrat de location de ce restaurant et de deux autres hôtels, le Nassim et les Cèdres. Il y a 15 jours, la mairie de Chréa a renouvelé son offre de location qui a abouti. Selon le vice-président de l'APC, l'hôtel Nassim rouvrira ses portes, au bonheur des touristes, d'ici à juin et l'hôtel des Cèdres à partir de septembre prochain. Quelle bonne nouvelle qui donnera, à coup sûr, un second souffle au tourisme dans cette contrée longtemps abandonnée. En sus, l'APC prévoit la construction de deux chalets auberges, un à Koudiat Fortasa, l'autre au Ski Club. Au-delà de ces faits d'annonce, les douars, qui participaient au bon vieux temps à la promotion de l'image touristique de Chréa, demeurent délaissés. Aujourd'hui, leurs anciens résidents veulent y retourner. Pour pouvoir y rester, ils sollicitent l'aide de l'Etat à même de réhabiliter leurs hameaux. Mais jusque-là, leur requête reste lettre morte.