Une peine de deux mois de prison ferme a été requise hier par le procureur du tribunal de Sidi M'hamed près la cour d'Alger contre le directeur d'El Watan et une journaliste de ce quotidien, dans le cadre du procès intenté à leur encontre par un « raqui » (guérisseur-exorciste) exerçant à la rue Hassiba Benbouali (ex-Belcourt), dit docteur Sababou. Un sévère réquisitoire a été prononcé en l'absence du plaignant qui ne s'est pas présenté à l'audience et n'a pas envoyé son avocat, et ce, pour la seconde fois. Lors des débats, la magistrate a commencé par interroger le directeur de la publication, Omar Belhouchet, sur le contenu du reportage, en lui expliquant que le plaignant l'avait jugé diffamatoire. « C'est un reportage qui ne comporte aucune diffamation. La journaliste qui est allée voir la personne en question dans son cabinet a constaté que celle-ci ne pratiquait pas la médecine mais plutôt le charlatanisme », dit-il, avant d'être interrompu par la juge. « Je vous ai posé une question, vous y répondez. Vous n'avez pas besoin de lire ce qu'il y a dans l'article », lui lance-t-elle d'un ton coléreux. Et M. Belhouchet de répondre : « Je suis en train de répondre à vos questions. De plus, j'ai le droit de lire avant de répondre. » La juge : « Vous me regardez en répondant aux questions. Donc, vous vous êtes contenté uniquement des propos de la journaliste pour publier l'article ? » M. Belhouchet : « C'est une journaliste professionnelle. Je lui fais confiance. Elle n'a fait que raconter ce qu'elle a vu et entendu. » La magistrate se tourne vers la journaliste, Salima Tlemçani. « Qu'avez-vous à dire ? », lui demande-t-elle. « Je n'ai fait que mon travail. J'ai vu qu'il y avait écrit “Médecin spécialiste des maladies des femmes et des enfants” sur la plaque qui orne la porte de son cabinet médical. Ce faisant, je me suis présentée comme une malade souffrant de migraine. Il a refusé de me recevoir sous prétexte que je n'étais pas accompagnée de mon tuteur. Je suis retournée le voir avec quelqu'un que j'ai présenté comme étant mon frère. Il m'a récité des versets coraniques en me disant que la cause de mon mal tenait au fait que j'étais “habitée” par le diable. A la fin, il m'a remis une ordonnance dans laquelle il me recommandait de l'eau minérale, du miel et de l'huile d'olive. Je l'ai appelé au téléphone après pour lui demander son avis sur le fait qu'il pratiquait dans son cabinet la roquia au lieu de la médecine. Sa réponse a été publiée, de même d'ailleurs que l'avis du conseil de l'Ordre des médecins qui a, pour précision, dénoncé cette pratique en disant que Sababou n'était pas enregistré sur le fichier des médecins exerçant à Alger », explique la journaliste. Le représentant du ministère public l'interroge : « Vous dites qu'il n'est pas médecin alors que le ministère de la Santé lui a donné ce titre ? » « J'ai écrit qu'il s'agit d'un médecin pratiquant le charlatanisme et non la médecine. La nuance est importante. Aucun médecin digne de ce nom ne délivre une ordonnance avec de l'huile d'olive, du miel et de l'eau minérale pour guérir une migraine », répond la journaliste. Le procureur demande alors, à la surprise générale, une peine de 2 mois de prison ferme contre la journaliste et son directeur. Dans sa plaidoirie, maître Khaled Bourayou, avocat des prévenus, relève les irrégularités ayant entaché la procédure, telle « cette demande du juge faite au greffier en chef du tribunal lui réclamant un acte des jugements des prévenus pour soi-disant vérifier leur filiation, alors que le code de procédure pénale prévoit, dans pareil cas, le recours à la commission rogatoire. Le juge voulait en fait connaître les antécédents judiciaires des prévenus et voir s'ils étaient des récidivistes ». L'avocat s'est élevé contre le réquisitoire du parquet et a mis en garde contre toute condamnation, car celle-ci reviendrait à légaliser le charlatanisme en Algérie. « Reconnaître qu'il y a eu diffamation et condamner les deux prévenus voudrait dire reconnaître tout simplement le charlatanisme. Ce qui serait très grave pour l'Algérie », a conclu l'avocat. La juge, après avoir accordé le dernier mot aux deux prévenus, lesquels ont réaffirmé leurs propos, met l'affaire en délibéré. Le verdict sera connu le 22 décembre prochain.