L'absence de débat autour de l'amendement de la Constitution a-t-il mis à nu la défaite des associations de la société civile et de défense des droits démocratiques ? Usées jusqu'à la corde, certaines associations ne semblent plus avoir la force de se remettre debout et de poursuivre la lutte. « La société civile n'a pas les moyens, ni la possibilité d'organiser des débats sur la refonte de la Constitution ou d'autres sujets d'intérêt national. Pour animer une réunion dans un lieu public, nous avons besoin d'une autorisation que les instances refusent dans la plupart des cas, sauf si l'ONG ou l'association en question est proche du pouvoir », explique maître Mustapha Bouchachi. Le représentant de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADDH) se souvient encore de l'annulation de la réunion qu'il comptait organiser le 5 octobre dernier au siège de la fondation Friedrich Ebert. « Douze heures avant la réunion, on nous a dit que la conférence devait être annulée. Les représentants de Friedrich Ebert nous ont expliqué que c'était plus fort qu'eux », raconte-t-il. Le fait est que la fondation allemande, qui avait attisé les foudres du patron de la centrale syndicale, a certainement voulu « calmer le jeu ». L'une des associations des familles des disparus a connu, elle aussi, une mésaventure similaire il y a près de deux ans. Alors que les membres avaient loué une salle à l'hôtel Mercure pour y tenir leur réunion et que les invités étaient déjà arrivés, on leur a signifié l'ordre de tout arrêter. Devant le refus de l'association de céder à la pression, l'électricité a été coupée. Me Bouchachi n'en démord pas : « Si la société civile ne peut pas s'organiser, si elle ne peut pas faire de réunion et débattre dans la transparence la plus totale sur des sujets importants pour l'avenir du pays, ce n'est pas la faute à la société civile, c'est le pouvoir qui la marginalise. » Mais l'arme absolue dont disposent les pouvoirs publics contre les associations reste les subventions sans lesquelles elles ne peuvent pas activer. Dans une étude réalisée par Omar Derras et publiée par la fondation Friedrich Ebert, il apparaît que toutes des associations enquêtées mettent en exergue la problématique « récurrente et constante » relative au manque de moyens financiers et de locaux. Pas moins de 32% des associations avancent le problème financier et 20% le problème du local. Il est clair, dit M. Derras, que celui qui paye commande et que les associations qui n'entrent pas dans le jeu des alliances sont appelées à disparaître. La loi 90-31, à l'image de l'ordonnance 71-79 et de la loi 87-15, a prévu la possibilité pour l'association d'être subventionnée par l'Etat, la wilaya ou la commune (article 26 de la loi 90-31). « Celui qui paye commande » Les pouvoirs publics ont transformé cette possibilité en moyen de pression efficace. « La société civile indépendante n'a pas de ressources pour faire des activités qui peuvent toucher la population. Il y a des financements étrangers qui restent insignifiants. Le devoir de l'Etat de droit est de subventionner la société civile », commente Me Bouchachi. Parallèlement, des dizaines d'associations soutenant le programme du président de la République ont vu le jour, créant ainsi une sorte de société civile périphérique. « Le régime algérien a créé une société civile à lui. Il la subventionne et lui facilite la tâche afin qu'elle prenne des positions qui vont dans le sens de ses orientations politiques. Ces relais du pouvoir n'ont aucun problème pour trouver des salles de réunion et pour passer à la télévision », observe Me Bouchachi. « Tout porte à croire que l'Etat veut façonner l'espace associatif à sa convenance, en lui donnant une fonction spécifique d'excroissance naturelle et de serviteur de la demande étatique. Il n'est pas surprenant de constater la rareté des associations de contestation, de défense des droits et de ce qu'on appelle communément les associations "politiquement sensibles" comme de défense des droits de l'homme, des droits des femmes, des droits des minorités ethniques, de l'environnement, des consommateurs, de lutte contre la corruption », estime Omar Derras. Les associations de jeunes dépendent du ministère de la Jeunesse et des Sports, qui encadre et subventionne toutes les associations sportives ainsi que les maisons et foyers de jeunes à travers le territoire national. Ces types d'associations sont majoritaires, elles sont mobilisables de manière conjoncturelle par les pouvoirs publics ou par les élus locaux à l'occasion d'événements politiques ou électoraux. M. Derras a constaté la rareté des vrais projets de développement durable. Ceci illustre la prédominance des projets de courte durée et conjoncturels. Ils représentent entre 50 et 54,3% de l'ensemble des projets. Ce constat relativement pessimiste doit être relativisé puisqu'il existe une proportion non négligeable de vrais projets de développement ; ils sont estimés entre 8,2% et 13,6%. Ces projets nécessitant de gros budgets et qui sont financés généralement par des donateurs privés et les bailleurs de fonds étrangers représentent entre 9 et 15,2% de l'ensemble des projets.Les rivalités internes ont détruit de nombreuses associations. Victimes d'ambitions personnelles de leurs fondateurs qui n'acceptent aucun autre poste que celui de dirigeant principal, beaucoup d'entre elles ont fait l'objet de désaccords internes. Selon l'étude Friedrich Ebert, les exemples de membres d'associations contraints de démissionner sont légion ; les associations dans ce cas sont au nombre de 42,6% et le nombre global des démissions a atteint presque 77,5%, ce qui est très significatif du climat général qui règne au sein des associations. Environ une centaine d'associations, soit 22,5% seulement, ont pu terminer le mandat dans les délais réglementaires. La société civile algérienne a également été fortement décrédibilisée par les associations qui font office d'appendices du pouvoir à l'exemple de l'UGTA, l'UNFA, l'UNPA, l'UGCAA, l'UNEA.En somme, il existe désormais trois types d'associations, selon la classification de Omar Derras : les groupes de contestation ou de revendication, très minoritaires et marginalisés, qui font l'objet d'un contrôle rapproché par les pouvoirs publics ; les associations de petites dimensions, constituées de clubs fermés qui vivent à huis clos et se complaisent dans une attitude de neutralité en attendant une nouvelle subvention des pouvoirs publics ; et puis les associations créées directement ou indirectement sur initiative des pouvoirs publics à des fins de collaboration, d'allégeance et de soutien indéfectible au pouvoir, à l'exemple des comités de soutien au programme du président de la République, les associations encadrées par le ministère de la Solidarité nationale... Bien souvent, le citoyen algérien ne se reconnaît dans aucune de ces associations. On ne mesure peut-être pas assez les dangers d'une société civile faible. Me Bouchachi s'insurge : « On a vu ce qui s'est passé à Berriane. La société civile est inexistante, car les pouvoirs publics ne veulent pas lui donner un rôle, ils veulent l'isoler du peuple. Une société civile qui s'isole du peuple finit comme le pouvoir. »