Imaginons, un seul instant, ce que pouvait être l'état d'âme de toutes les créatures ayant pris place à bord de l'Arche de Noé : ballottées par des vagues gigantesques triomphant des plus hauts pics, entassées dans un espace réduit sans pouvoir échapper aux affres de la promiscuité, et, bien sûr, faisant face à des lendemains incertains, même si la relation avec les cieux était des plus fortes.Imaginons encore toutes ces créatures mettant pieds et pattes sur une terre assagie en obtempérant à l'ordre du Ciel : des hommes et des femmes dansant, de joie, ou peut-être, de folie, au gré d'une humeur enjouée. C'est là, grosso modo, l'objet de la 6e symphonie de Ludwig Van Beethoven, même si rien ne prouve encore que celui-ci s'est directement inspiré de la gestuelle du déluge et de la grande aventure de Noé. Ainsi, pourrait-on penser que Beethoven, à la merci d'une ouïe défectueuse dès 1797, se comportait comme un passager de l'Arche de Noé. Sûr, cependant, de son propre destin, car il savait où il allait, il dut attendre donc le moment de mettre pied sur une nouvelle terre pour mieux épancher son cœur en donnant l'accolade au monde de la nature et des hommes. Quittant alors sa nef de fortune, il eut recours aux différentes manifestations de la vie sociale autour de lui, tout principalement, celles des villageois qui, à l'arrivée de la saison printanière, sortent de leurs masures après y avoir égrené leurs petites histoires durant toute la saison hivernale.Dès les premières lignes mélodiques de sa 6e symphonie qui, du reste, dépasse toutes ses autres par le nombre de ses mouvements qui sont de cinq, Beethoven, comme allant à la rencontre de son alter ego, se fait l'écho de ses propres émotions. Sa joie éclate ainsi que son amour pour le monde de la nature et des hommes. On sautille dans un entrain sans égal dans toute l'histoire de la musique. On virevolte, tournoie, plonge pour épouser du regard et du cœur l'ensemble d'une scène où l'être humain se réconcilie avec son entourage. Le même topo se poursuit, sur un ton volubile, et ce n'est qu'au cinquième mouvement que l'on devine la présence de la cohorte villageoise qui vient à peine de quitter timidement, puis avec courage et hargne, ses masures pour s'élancer dans des danses effrénées dont seul Beethoven pouvait matérialiser le contenu pour avoir bien connu l'atrocité et le poids de la solitude. N'avait-il pas écrit dans son testament : « Comment avouer la faiblesse du seul sens qui devrait être chez moi plus parfait que chez les autres ? » On peut, évidemment, écouter cette symphonie en se contentant des seules indications figurant à la tête de chaque mouvement. Mais l'intertextualité, à la fois musicale, religieuse et littéraire, invite tout un chacun à se mettre au devant de la scène pour donner libre cours à ses propres épanchements, soit à une lecture créatrice, la seule valable en l'occurrence. Beethoven, avec sa culture classique et son amour pour la nature, avait favorisé en son for intérieur l'idée d'un hommage à la relation entre l'humain et son milieu naturel. Et ce type de relation est bien une condition sine qua non pour aborder en tout temps les grandes œuvres de l'esprit humain.