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Aux îles Canaries, avec les clandestins africains
Ils racontent à El Watan leurs mésaventures
Publié dans El Watan le 15 - 11 - 2006

Ils sont plus de 10 000 Africains, de l'Ouest notamment, des Sénégalais surtout, à avoir entrepris clandestinement depuis le mois de mai dernier la longue traversée de l'Atlantique pour gagner l'archipel des Canaries, la terre promise, rêvaient-ils. Des milliers de ces jeunes desperados ont vu leur rêve se briser tragiquement, englouti dans les profondeurs de l'océan. D'autres, plus chanceux, ont pu arriver à bon port au bout d'une terrible aventure en haute mer et à haut risque. El Watan est allé à la rencontre de ces jeunes Africains qui ont enduré un voyage d'enfer avec ses mirages et ses dommages, avant d'échouer sur le rivage. Journal de bord d'insoutenables odyssées typiquement africaines à vous couper le souffle.
Mostapha Sessay, Mahamadou Boubacar, Abdou N'day. Trois jeunes hommes, trois nationalités, un seul objectif : gagner les côtes de Tenerife. Du Sénégal pour le premier, de la Gambie pour le deuxième et de la Guinée-Bissau pour le troisième, ils ont pris la même résolution. Celle de foncer droit dans l'océan, coûte que coûte à bord de pirogues incertaines. Témoignages. « Vous savez, il n‘y a pas pire que la pirogue. Même si on m'offrait des milliards de dollars, je ne referais jamais la traversée. » Mostapha écrase difficilement une larme. Par pudeur, il baisse la tête et la cache de son porte-document au détour de son récit. Encore sous le choc, sa voix enrouée et ses gestes presque maladroits trahissent son traumatisme. A peine 22 printemps, ce jeune maçon de Dakar est visiblement marqué à jamais après avoir tangué entre vie et trépas en haute mer. « Ma mère a tout fait pour me retenir en me disant que l'océan est dangereux et que je risquais de mourir. Mon père aussi me suppliait de ne pas embarquer sur un cayuco (pirogue). » Silence. Mostapha se reprend : « Mais, à Dakar, je ne gagnais pas assez d'argent, pas plus que mon père d'ailleurs, c'est pourquoi j'ai décidé de tenter l'aventure avec l'espoir d'arriver sain et sauf ici à Tenerife pour rejoindre ensuite mon oncle à Madrid. » Ce jeune Sénégalais se tait à nouveau, s'en voulant sans doute de n'avoir pas écouté ses parents. « Je me suis démené pour réunir les 400 000 francs CFA (l'équivalent d'à peu prés 500 euros), prix de la traversée, que j'ai remis au propriétaire de la pirogue. » C'était au début du mois de septembre. Mostapha ne se souvient même pas du jour exact du grand départ. « Le pêcheur (le conducteur de la pirogue) nous a demandé de laisser nos papiers chez nous et de bien nous habiller pour pouvoir résister au froid et à la pluie. » Commence alors le long cauchemar… « Nous avons embarqué de nuit pour échapper aux gardes-côtes de la Casamance. Nous étions 87 à nous entasser à bord du cayuco, la plupart ne se connaissaient pas. » Durant dix longs jours, mais surtout dix très longues nuits, Mostapha et ses amis d'infortune en verront de toutes les couleurs. Première mauvaise nouvelle : « La pirogue prenait l'eau de partout et à chaque fois on se mettait à l'évacuer à l'aide de seaux. » Pour l'aventurier, la mort rôde sans cesse autour de l'embarcation. « Pendant la journée, tout est calme, mais dès que la nuit tombe, la pirogue devient un vrai cauchemar. Vous voyez tout et vous entendez des bruits assez bizarres… cela me terrifiait tellement », dit-il. « Imaginez-vous que nous entendions des voix de petits enfants qui pleurent alors qu'il n'y avait aucun mineur à bord ! Oui, la mer est pleine de mauvaises surprises ». Mostapha raconte sa mésaventure, encore hanté par tout ce qu'il a vu et entendu dans le silence de la nuit. Sa voix tremblote encore en évoquant le moteur de la pirogue qui s'éteint énigmatiquement la nuit pour redémarrer une heure plus tard. Ou encore ces silhouettes de belles femmes qui apparaissent à bord du cayuco et flottant sur l'eau. « Beaucoup de mes amis sont morts après avoir plongé de nuit en apercevant ces jeunes filles qui flottaient. » Mostapha refuse de croire que ces voix, ces images et ces visages soient le produit de son imagination. « Non, ce n'est pas du délire. En mer, il se passe des choses terribles et mystérieuses. Plusieurs fois, nous avons aperçu la terre en plein océan et beaucoup parmi les garçons qui s'y sont rendus de nuit ne sont plus revenus à la pirogue. Vous, en Algérie, vous ne connaissez pas les mangeurs d'hommes, mais ils existent… Jamais plus la pirogue, c'est fini…jamais…impossible. » Ayant soudainement repris peur au milieu de son récit, Mostapha s'excuse de ne pas vouloir « revivre » ces nuits d'horreur et d'épouvante même en les racontant. « Mon frère, je suis en vie, Dieu soit loué. J'ai passé dix jours d'enfer sur la pirogue, j'y ai dormi 4 heures et je n'ai pas fait mes besoins pendant 7 jours tellement je n'avais que des biscuits dans l'estomac. ». Pour ce jeune Sénégalais, qui séjourne depuis dix jours dans une auberge spéciale à Santa Cruz, au nord de Tenerife, l'échouage du cayuco au port de Los Cristianos, escorté par les gardes-côtes, fut un jour de délivrance. Embarqué avec ses « amis » dans un commissariat de police, il a été interné pendant 38 jours dans le camp militaire de Hoya Fria, à Santa Cruz. Mostapha sera ensuite envoyé à l'auberge, sans papiers mais surtout sans le sou. « J'ai vendu des lunettes (le principal job des clandestins africains ici) mais cela ne rapporte pas grand-chose. Je dois trouver un vrai travail, ne serait-ce que pour envoyer un peu d'argent à mes parents. Je dois réussir… J'ai risqué ma vie et il n'est pas question de retourner bredouille à Dakar. » Pour l'heure, Mostapha se console d'avoir pu contacter ses parents au téléphone en attendant mieux. Il est 12h, lundi 7 novembre, le désormais jeune clandestin, interné au même titre que des milliers d'Africains comme lui, va devoir prendre congé de nous et rentrer à l'auberge pour manger… « Si je rate le repas, je resterai à jeun jusqu'à 20h. Je n'ai même pas de quoi m'offrir un café ! », s'est-il excusé. Son compagnon d'infortune, Souleymane Koni, un Gambien de 24 ans, qui a débarqué des côtes mauritaniennes depuis Nouadhibou, le 24 septembre dernier, raconte, à quelques de détails près, la même odyssée, les mêmes souffrances. D'un hochement de la tête, il opine presque machinalement à propos de toutes les péripéties vécues et narrées par Mostapha. De temps à autre, il ajoute un détail, somme toute banal, qui n'altère en rien l'incroyable similitude des carnets de bord de ces aventuriers et l'ambiance à bord de tous les cayucos qu'ils viennent de Dakar ou de Nouadhibou. Souleymane a tout de même moins souffert que Mostapha. D'abord, les frais de la traversée : « J'ai payé 300 000 francs CFA (400 euros) pour un voyage de 10 jours avec 65 autres clandestins dont un mineur. » Le jeune Gambien raconte lui aussi des histoires aussi invraisemblables les unes que les autres de ces nuits en mer. « Ce qui me faisait le plus peur, c'est que dans la journée nous étions à l'aise dans l'embarcation et chacun avait son petit coin, mais, la nuit tombée, il n'y avait plus de place ! »
Abdou N'day pleure Fatou…
Voulant révéler un autre fait qui a résulté de la promiscuité dans le cayuco, Souleymane hésite un instant, puis échange deux mots avec son copain en patois africain. Il se décide enfin à faire son aveu : « Vous devez savoir également qu'à partir du 3e jour, les plus âgés, les plus forts surtout, commencèrent à se livrer à des attouchements. En remarquant le manège, j'ai eu vraiment peur d'avoir affaire à des obsédés sexuels. Il fallait donc tout contrôler. » Souleymane, heureux de s'être tiré d'affaire, confie n'avoir pas fermé l'œil durant…six jours. « Dans la pirogue, il n'y avait ni sentiment ni solidarité et tout pouvait arriver à n'importe quel moment de la nuit. Il fallait donc rester sur ses gardes. » Comme un malheur n'arrive jamais seul, Souleymane a dû subir le tangage du cayuco qui chavirait à mi-parcours entre Nouadhibou et les côtes canariennes. « A un moment donné, je pensais réellement qu'on allait mourir tant la pirogue était à la dérive », dit-il. Mais à l'approche du port de Los Cristianos, Souleymane pousse enfin un ouf de soulagement. « Quand j'ai aperçu le zodiac des gardes-côtes de Tenerife, j'ai remercié le bon Dieu de m'avoir laissé en vie et je me suis dis que, quoi qu'il arrivera maintenant, ce ne sera sûrement pas aussi dur que cette angoissante traversée. » Souleymane connaîtra évidemment le même parcours et subira la même procédure, comme des milliers de ses semblables. Recueillis par la garde civile, ils sont envoyés dans les locaux de la police, interrogés puis dispatchés pour la plupart entre les deux principaux centres d'internement des étrangers sis à Santa Cruz, que sont Hoya Fria et Las Raices et gérés par les militaires. Souleymane, qui vient juste de recevoir des habits neufs de son frère qui vit à Barcelone, espère se faire un peu d'argent pour aller le rejoindre en Espagne continentale. Pour lui, Tenerife n'est qu'un port d'attache en prévision d'une fixation définitive à El « Barça » Lui aussi est sans papier et sans fric, mais ne doute pas un instant d'aller au bout de son rêve. Retourner en Gambie ? « Je ferais tout mais pas cela ! », tranche-t-il. Dans sa gandoura africaine bien en vue, Abdou annonce de loin... sa couleur. Depuis le matinée, il n'arrête pas de faire des va-et-vient dans la rue commerçante qui longe la station balnéaire de Los Cristianos. Tenant d'une main une petite boîte en carton pleine de lunettes de soleil et de l'autre une dizaine de montres enroulées autour du poignet, ce sympathique Guinéen tente de gagner sa croûte avec ce petit commerce de fortune. Son sourire enchanteur trahit sa terrible blessure de ne pouvoir prendre dans ses bras sa fille chérie Fatou et son bout de chou Mohamed qu'il n'a plus revus depuis quatre mois. « Ils me manquent beaucoup, je les ai laissés derrière moi en espérant pouvoir régulariser ma situation pour les ramener ici, ou tout au moins leur envoyer beaucoup d'argent pour qu'ils s'en sortent. » A 32 ans, Idrissa a laissé femme et enfants et déboursé une petite fortune de 800 euros qu'il a gagnée de son commerce pour prendre un cayuco en partance pour Tenerife en juillet dernier. « Ecoutez, là-bas en Guinée-Bissau, je n'avais plus rien à faire. Je gagnais à peine de quoi survivre avec ma femme et mes enfants. Je sais que c'est douloureux de les abandonner, mais que voulez vous que je fasse, c'est le destin… » Abdou tonne subitement contre les autorités espagnoles et européennes qui « refusent de nous donner des papiers alors que c'est eux qui nous avaient colonisés et exploité nos richesses ! Ici, nous sommes chez nous, c'est eux qui sont responsables de nos malheurs ! », tempête encore le Guinéen. Contrairement à Souleymane et Mostapha, Abdou n'a pas voulu s'appesantir sur sa traversée de Casamance à Tenerife. « C'est une épreuve que nous devions subir pour arriver jusqu'ici. Ce fut très dur, très risqué. Mais ce qui me fait le plus mal, c'est qu'on soit jetés comme ça dans la rue, sans papier et, pis encore, sans le droit de travailler. C'est pour cela que chacun de nous essaye de se débrouiller du mieux qu'il peut pour ne pas mourir de faim. » Idrissa, qui en a visiblement gros sur le cœur, a fugué d'un centre d'internement « où j'en avais marre ». Il n'est pas sûr de pouvoir tenir le coup pour longtemps. « D'ici quelques mois, si je n'arrive pas à avoir mes papiers, je vais sans doute rentrer chez moi. Je préfère vivre dignement avec ma famille, même modestement, que de subir ce traitement inhumain. » Au détour d'une petite phrase de son récit, Idrissa n'hésite pas à tendre sa boîte aux touristes de passage. « Tu vois mon frère, ils ne regardent même pas », fit-il, remarquant que les touristes n'ont pas flashé sur sa « marchandise ».
L'archipel des gueux
A quelques mètres de là, Bamda Khal, un jeune Sénégalais de 27 ans, a plutôt l'air enjoué. Vêtu d'un maillot du FC Barcelone, il sillonne nonchalamment cafés et restaurants pour proposer ses lunettes. Ce géant de 1m90 est déterminé à aller en Catalogne. « Vous croyez que s'il y avait un quelconque avenir à Dakar j'aurais risqué ma vie durant 14 jours de traversée, sous un soleil de plomb et au beau milieu d'un océan en furie ? Mon frère, ce n'est pas de gaieté de cœur que je viens ici, mais il n'y a absolument rien à faire au Sénégal. » Le cayuco qui transportait Bamda, le 14 août dernier, avec 109 autres clandestins dont 3 mineurs, a échoué ici même à Los Cristianos. Bamda est revenu au lieu de son débarquement pour « pêcher » quelques euros lui permettant, espère t-il, de payer le billet qui le mènerait à Barcelone. Un rêve que caressent de nombreux clandestins africains rencontrés aussi bien à Los Cristianos et à Las America qu'à Santa Cruz de Tenerife, après avoir miraculeusement échappé à une mort certaine en haute mer. Ils partagent aussi le même souci de gagner aussi vite que possible beaucoup d'argent, qui pour rembourser les dettes du voyage, qui pour subvenir aux besoins des siens qui sont à mille lieues… d'eau des îles Canaries. Un pari pratiquement aussi difficile que la grande mésaventure. Mais pour ces centaines de « negros » – c'est comme cela qu'on les appelle ici à Tenerife – écumant les ruelles et les boulevards et les autres milliers internés dans des centres surveillés, impossible n'est désormais plus africain. Et pour cause, « il n'y a pas pire que la pirogue ! » Les immigrants clandestins de l'Afrique de l'Ouest font désormais partie du décor quotidien des sept îles de l'archipel des Canaries. Vous n'avez même plus besoin de les chercher. Ils sont partout. Les populations locales crient ouvertement leur rejet de ces « envahisseurs ». La sympathie manifestée au début des premiers arrivages à l'égard de ces jeunes Africains a cédé la place à une sourde révolte perceptible à ces regards obliques jetés au passage d'un homme de couleur. « Franchement, nous en avons marre de ces gens qui débarquent tous les jours et qui végètent sur la place publique. » Marco, gérant d'un grand hôtel au sud de Tenerife, pousse un ouf de dégoût en hochant la tête comme pour signifier le « désagrément » causé par les clandestins. Il n'hésite pas à montrer du doigt le Premier ministre espagnol, Luis Zapatero, coupable, d'après lui, de leur avoir ouvert les portes en procédant, en 2005, à une régularisation massive (600 000) des sans-papiers. « C'est de sa faute ! D'ailleurs, je me demande ce qu'il fait de ces milliers qui arrivent en cayucos et qu'il héberge dans des centres d'internement ? ». Une question que de nombreux Canariens se posent en croisant ces Africains, censés être aux arrêts, sur la place publique. Renseignement pris, il s'avère qu'après un passage d'un peu plus de deux mois dans un centre d'internement, une « attestation de libération » est remise au clandestin l'autorisant à quitter le centre. Une attestation où il lui est clairement signifié l'interdiction de travailler. Mais jetés dans la rue sans le sou, les Africains n'ont d'autres choix que de faire les petits métiers. Le gouvernement des îles Canaries n'y peut rien face à ce procédé, puisque le dossier des adultes, contrairement à celui des mineurs, est géré directement à partir de Madrid. En clair, les Africains font face à situation bizarre : ils sont tolérés, mais pas acceptés. Ils ne sont jamais interpellés dehors par la police, même s'ils ne disposent d'aucun papier. Il suffit cependant qu'ils tiennent ne serait-ce que de simples colliers en cuir au marché pour qu'ils soient aussitôt embarqués. « Ils veulent nous pousser à l'erreur en nous lâchant comme cela dans la nature pour se donner les arguments afin de nous chasser d'ici. » Osman Seck, un Sénégalais de 26 ans, arrivé il y a deux mois, dit ne pas céder à la tentation. Il essaye de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Comme lui, ils sont plus de 23 000 Africains à écumer une quinzaine de centres d'accueil entre les internements militaires et les structures éducatives, sanitaires et culturelles mises à contribution par le gouvernement de l'archipel afin de contenir les bataillons d'immigrés clandestins. Dans les sept îles, les autorités ont ouvert ce genre de centres, constatant que les Africains arrivaient de partout en fonction de l'étanchéité des dispositifs de surveillance mis en place. Ainsi, les derniers chiffres rendus publics il y a quelques jours à Tenerife évaluent le taux d'occupation des centres à seulement 19/100, soit 1280 places sur une capacité d'accueil de 6600 places. Les internés sont répartis entre le camp militaire de Las Raices (3250 places) et Hoya Fria (320 places) de Santa Cruz à Tenerife, le campement militaire de la Isleta (1400 places) et le centre international de Barranco Seco (165 places) de Las Palmas de Gran Canaria. Aussi, l'île de Fuerteventura, qui fut la destination privilégiée des clandestins africains, a ouvert un immense centre d'une capacité de 1400 places. Or ce taux d'occupation de 19 /100 des centres d'internement qui paraît a priori modeste ne lève qu'un coin du voile sur ce véritable archipel des gueux. Il faut savoir, en effet, que des milliers d'immigrants ne transitent que huit semaines au plus tard dans ces centres avant de retrouver leur liberté. On y ajoutant ces autres milliers qui remplissent des dizaines de centres sociaux, des écoles et des maisons de jeunes, on saisit mieux le débordement des îles Canaries. Pour le mois d'octobre dernier, pas moins de 1280 nouveaux immigrants ont échoué sur les berges de l'archipel, alors qu'ils étaient seulement 549 au même mois de l'année dernière. Les autorités espagnoles constatent que les îles Canaries sont devenues cette année l'eldorado des clandestins africains, loin devant l'Andalousie qui a accueilli seulement 565 immigrants contre 1491 en 2005. La palme revient dans l'archipel à Tenerife qui enregistre un nombre impressionnant de nouveaux débarqués. D'après les journaux de Santa Cruz, les clandestins se sont rabattus depuis mai dernier sur Tenerife après avoir été dissuadés par le dispositif de surveillance radar placé sur les côtes de Fuerteventura, l'ex-asile des Africains. Idrissa, un Sénégalais, donne un autre argument : « Les pêcheurs sénégalais connaissent parfaitement la mer entre la Casamance et les côtes de Tenerife, c'est pourquoi il n'y a pas beaucoup de morts ces derniers temps. »


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