Peut-on s'opposer à un régime totalitaire et s'en sortir indemne ? L'écrivain russe Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne en est la preuve. Condamné comme traître lors de la Seconde Guerre mondiale, il ne sort du camp qu'en 1953, quelques semaines avant la mort de Staline. Il sera juste après envoyé en exil perpétuel au Kazakhstan où il enseignera les sciences physiques. Sa réhabilitation n'est intervenue qu'en 1956. Mais ce paisible enseignant va crever l'abcès en écrivant Une journée d'Ivan Denissovitch, ouvrage publié en 1962 dans la revue Novy Mir, grâce... à l'autorisation de Nikita Khrouchtchev qui voulait en finir avec le régime de Staline. Cela a permis à Soljenitsyne d'acquérir une renommée tant dans son pays qu'à l'étranger. Le roman, guère trop consistant, raconte la journée bien remplie d'un forcené dans un camp de travail du début des années 1950. L'héros n'est autre que « Yvan Denissovitch Choukhov, paysan comme on en trouve beaucoup à travers la Russie éternelle ». Brejnev qui succédera à Khrouchtchev coupera court aux projets de l'auteur auquel il a été interdit de publier. La réponse de Soljenitsyne fut cinglante en demandant, dans une lettre au Congrès des écrivains soviétiques « la suppression de toute censure – ouverte ou cachée – sur la production artistique ». Mais ce n'est que peine perdue. La renommé de l'auteur a pris de l'ampleur et l'homme est resté égal à lui-même en publiant, cette fois-ci, à l'étranger Le Premier cercle et Le Pavillon des cancéreux, ainsi que le premier tome de son épopée historique La Roue rouge. Le prix Nobel lui a été décerné, mais il ne pouvait le recevoir qu'après avoir été expulsé du pays. Horrible destin de ce russophile acharné, chauvin, diront ses détracteurs. Ce fils d'une Ukrainienne « montée » à Moscou ne cessera de défendre l'idée qu'il avait de la Russie et se mettra à dos les communistes. L'Archipel du goulag a été publié plus tard. Pavé illisible par moment, explorer le système concentrationnaire soviétique du goulag, que Soljenitsyne a vécu de l'intérieur, mais aussi et surtout la nature totalitaire du régime. Ecrit d'une manière rocambolesque, le livre fut envoyé à l'étranger et publié à Paris où il aura un très grand retentissement. Rendant à l'occasion la vie difficile à l'écrivain. Bien plus tard, Mikhaïl Gorbatchev restituera la nationalité russe à l'écrivain qui rentre en Russie le 27 mai 1994, où il résidera jusqu'à sa mort dans la nuit du 3 au 4 août 2008 d'une insuffisance cardiaque aiguë. Beaucoup de ses prises de position furent critiquées par ceux-là mêmes qui l'ont accueilli. Durant sa carrière littéraire, il a été accusé d'être, pêle-mêle, nationaliste, ultra-orthodoxe, antisémite ou favorable à Israël, traître ou encore agent du KGB. Soljenitsyne a répondu à ces allégations « en les juxtaposant, fait-on remarquer à raison, pour qu'elles s'annulent entre elles », dans son autobiographie littéraire Le grain tombé entre les meules.